Quatre ans ont passé depuis le séisme du 11 mars 2011. La ville commence à reprendre forme.
Cela fait quatre ans que le grand séisme qui a affecté le nord-est du Japon s’est produit le 11 mars 2011. Moins d’un an plus tard, le gouvernement a créé l’Agence pour la reconstruction dont la mission a été limitée à 10 années à partir de la survenue de la catastrophe. La période de reconstruction intensive au cours de laquelle le gouvernement accorde des subventions aux collectivités locales est de 5 ans à compter du séisme. Si le Premier ministre Abe Shinzô, qui a soutenu la candidature de Tôkyô pour l’organisation des Jeux Olympique en 2020 a bien déclaré que “sans la reconstruction des régions sinistrées, il n’y aurait pas de renaissance du Japon”, il n’empêche que les sinistrés ne recevront plus d’aides directes de l’Etat à compter de 2016. Voilà pourquoi nous avons voulu savoir ce qu’il en était de la situation des 6 préfectures et des 62 communes concernées.
Pour le savoir, nous nous sommes rendus à Ishinomaki, préfecture de Miyazaki, siège de l’Ishinomaki Hibi Shimbun, quotidien local avec lequel nous collaborons depuis mars 2011. Située à 420 km au nord-est de Tôkyô, à 50 km de Sendai, au bord de l’océan Pacifique, la ville d’Ishinomaki a subi la plus grande perte humaine de la catastrophe avec plus de 3 700 habitants décédés ou portés disparus. Lors du séisme, un tsunami de 8,6 m de hauteur s’est abattu sur le port au sud de la ville, avant de ravager les zones industrielles et les quartiers d’habitation. Il a remonté à contre-courant le fleuve Kyû-kitakami qui traverse longitudinalement la ville pour atteindre le centre-ville et provoquer d’énormes dégâts. A regarder plus concrètement les chiffres,
73 km2, soit 13,2% de la superficie de la commune (555,78 Km2) ont été submergées, ce qui correspond à la superficie de la ville de Nice. A cause de ces inondations, 76% de ses habitations, soit 57 000 maisons ont été endommagées, dont 20 000 totalement détruites.
Depuis 2012, l’équipe de Zoom Japon s’est rendue chaque année dans cette cité accompagnée de journalistes de l’Ishinomaki Hibi Shimbun qui connaissent mieux que quiconque leur ville, afin d’observer ce lieu sinistré et l’état de sa reconstruction.
Fin décembre 2014, nous sommes arrivés à la gare d’Ishinomaki après avoir pris le shinkansen à Tôkyô, puis le car. Sur la façade de la gare, on pouvait encore apercevoir le slogan accroché depuis 2011 “Courage, Ishinomaki !”. Sur la place, submergée il y a quatre ans, les bus arrivent et repartent, et à côté de la file de taxis, salariés et étudiants pressent le pas. Un banal paysage quotidien. Devant nous, la grande rue avec des bistrots proprets appartenant à des chaînes, c’est aussi le paysage ordinaire d’une ville de campagne. Ici, nos yeux sont attirés immanquablement par les statues des héros de mangas créés par Ishinomori Shôtarô, mangaka originaire de la préfecture de Miyagi. Ces statues se tiennent debout aux endroits stratégiques, depuis la gare, en passant par les rues principales et les rives du fleuve Kyû-kitakami qui coule juste à côté. Elles ont été érigées dans le cadre de la campagne “La ville de manga”, dont le centre est le musée mémorial dédié à ce créateur des mangas, Ishinomori Manga-kan, construit sur une petite île du fleuve. Ce musée qui a aussi subi des dégâts terribles du tsunami, est resté fermé pendant un an et demi. Mais pendant tout ce temps, les statues ont continué à se dresser vaillamment, comme si elles voulaient donner du courage à ceux dont le cœur avait tendance à s’assombrir en marchant dans cette ville endommagée.
Après le séisme, la ville d’Ishinomaki a établi, un plan de reconstruction décennal en balisant chaque étape de sa réhabilitation. Les trois premières années ont été définies comme une période de reconstruction, les quatre années suivantes comme celle de la renaissance et les trois dernières comme celle du développement. Ce plan est financé, en principe, dans le cadre du budget gouvernemental pour la reconstruction, mais l’approbation des crédits se fait au niveau de l’Etat. Comme il faut que l’autorité locale demande l’approbation des crédits de la part de l’Etat pour chaque action, les demandes faites par les habitants n’ont pas toujours été acceptées. Surtout dans la première période où les efforts se sont concentrés sur la reconstruction des bases de la vie quotidienne et des infrastructures, en se basant sur le principe de “reconstruire comme avant”. Les actions visant à améliorer en même temps la situation qui était déjà mauvaise avant la catastrophe ont été refusées et le manque de souplesse de l’Etat a été pointé du doigt de la part de ceux qui œuvrent sur place. “Juste après le séisme, l’urgence était telle que, très souvent, on ne pouvait pas attendre l’approbation de l’Etat. Des vies humaines en dépendaient. Parfois on était obligé de forcer les choses pour faire face à une urgence qui se présentait devant vous”, raconte un ancien employé de la mairie. Il est arrivé aussi que l’avancement des entreprises de reconstruction ait été ralenti parce qu’il fallait régler des divergences entre les sinistrés : que privilégier : l’habitat ou les équipements culturels ? Le dirigeant du journal Ishinomaki Hibi Shimbun, Ôhmi Kôichi estime que “c’est pour cela qu’il faut un leader capable de prévoir à long terme très tôt d’établir un plan clair du futur et d’avancer devant les citoyens afin de le réaliser”.
Actuellement, Ishinomaki est sortie de sa période de reconstruction. Elle est entrée dans celle de la renaissance. Pourtant, 23 000 personnes vivent encore dans des habitations provisoires, soit dans des logements préfabriqués dont la durée d’utilisation est limitée à deux ans par la loi d’aide aux sinistrés du séisme, soit dans les logements temporairement loués par la préfecture. Après une décision de la préfecture de Miyagi prise au mois de janvier de cette année limitant à cinq ans la période d’utilisation de logement provisoire, la plupart des 70 000 sinistrés qui y habitent encore dans les 14 communes de la préfecture, vont devoir trouver une autre solution dans un an. En raison de l’importance des dégâts, cette limitation de durée d’utilisation de logement provisoire n’est pas appliquée à la commune d’Ishinomaki, et depuis l’année dernière, l’administration propose à ceux qui ne peuvent pas reconstruire leur maison eux-mêmes, des logements sociaux publics pour les sinistrés, qui sont loués à un loyer modéré (voir Zoom Japon n°38, mars 2014).
Or, pour ceux dont le revenu est instable et les personnes âgées qui habitaient toujours la maison leur appartenant et qui n’ont pas l’habitude de payer un loyer, le refus à cette obligation soudaine de payer un loyer est fort et le taux d’occupation de ces logements sociaux reste encore faible au bout d’un an. Face à cette situation, de nombreux habitants critiquent les sinistrés qui ont des fonds nécessaires, mais qui manquent d’autonomie. Evidemment, pour ceux qui ont perdu leur maison, des aides ont été accordées dans le cadre du budget de reconstruction de même qu’un système de crédit gratuit ou un effacement des prêts immobiliers contractés pour leur maison avant le séisme. Mais malgré tout cela, puisque rien ne rendra gratuitement la situation exactement pareille qu’avant le séisme, il est demandé, en principe, à chacun ses efforts pour rester autonome et être capable d’évoluer.
En entrant dans l’étape de la renaissance, les plans d’aménagement de quartier se sont concrétisés, et depuis l’an dernier, des travaux ont débuté dans certains quartiers. Prenant en exemple le centre-ville d’Ishinomaki où les logements publics pour les sinistrés ont été construits ; les habitants et commerçants de la rue de la Mairie ont créé un “Comité de quartier”. Comme il s’agit d’élever un quartier entièrement nouveau, avec les conseils et les aides du bureau d’études d’aménagement urbain de l’Université Nationale de Yokohama et d’une entreprise spécialisée implantée à Ishinomaki, ce comité a établi et présenté à la mairie un plan d’action concernant les échanges entre anciens et nouveaux habitants, le confort de la vie quotidienne du quartier, les animations et la sécurité. Celui-ci devrait prendre fin en mars 2018.
Mais pourquoi ce centre-ville d’Ishinomaki a subi de tels dégâts ? C’est parce qu’il n’y avait pas de digues le long du fleuve qui coule le long de la ville. Cette absence s’explique par le fait qu’historiquement, ce fleuve Kyû-kitakami faisait fonction de port. Dès 2011, il a été décidé d’ériger des digues de protection vers l’embouchure du Kyû-kitakami comme moyen de sécurisation. Ces digues devraient avoir une hauteur maximum est 8,7m, sur une longueur de 10 km environ (10 km sur la rive droite, 9,1km sur la rive gauche). Le plan de construction des digues une fois acquis, la ville a organisé à plusieurs reprises des réunions d’explications auprès des habitants, et avançait le projet en tenant compte des avis et des demandes de chacun. Les travaux ont finalement débuté et, l’année prochaine, ces digues, sous l’aspect d’une promenade, devraient être achevées. Certes, face à un bouleversement total du paysage, il y a toujours des voix qui s’élèvent pour critiquer. “On a l’impression de vivre entouré de murs”, “Ce serait encore plus dangereux de ne pas pouvoir voir l’eau qui arrivera !”, etc.
Concernant la zone côtière où les dégâts ont été les plus importants, le déplacement groupé des quartiers d’habitation et la construction de brise-lames sont prévus. Le quartier de Minami-hama qui fait face à la baie d’Ishinomaki, la plus proche du centre-ville, n’est aujourd’hui qu’un vaste terrain vague, semblable à d’autres quartiers. Actuellement, les travaux de remblaiement y sont partiellement en cours. Le long de la mer dans cette zone où il y a eu le plus grand nombre de décès et les dégâts les plus importants, l’Etat et la préfecture projettent de créer un parc pour commémorer toutes les victimes du séisme et s’y recueillir. Au nord, à l’intérieur des terres, se trouve le mont Hiyori, où beaucoup d’habitants s’étaient réfugiés. Au pied de cette montagne, se trouvait l’école élémentaire Kadonowaki, où aucune victime n’a été dénombrée malgré le séisme, le tsunami et l’incendie grâce aux mesures d’évacuation qui avaient été prévues. A la fin de 2014, un comité composé d’experts intérieurs et extérieurs de la ville a proposé de conserver le bâtiment de cette école aujourd’hui en ruine comme un message, une leçon pour le futur. Mais, parmi les sinistrés, certains ne désiraient plus voir cette ruine leur rappelant de douloureux souvenirs. Des voix se sont fortement élevées pour demander son démantèlement. En plus du démantèlement partiel et de l’entretien, 300 millions à un milliard de yens seraient nécessaires pour une conservation partielle ou totale. La décision reste en suspens.
Compte tenu de la concentration des travaux de reconstruction en zone sinistrée, on a constaté que la main-d’œuvre et les matériaux de construction viennent à manquer et que les prix augmentent. A cause de cela, les demandes d’offre pour les travaux publics ne fonctionnent pas et l’on observe des retards dans l’avancement des travaux déjà engagés qui se répercutent dans la reconstruction de la ville entière. Parallèlement à Tôkyô, de grands travaux se mettent en route pour les J.O. de 2020. Entre passé, présent et avenir, le Japon se doit désormais déployer ses vraies capacités d’opération.
Koga Ritsuko
L’Agence pour la reconstruction
Au mois de février 2012, le gouvernement a créé à Tôkyô l’agence pour la Reconstruction dont l’existence est limitée à dix ans à partir de la survenue de la catastrophe. Les cinq premières années ont été définies comme période de reconstruction spéciale au cours de laquelle le gouvernement doit concentrer ses efforts pour réaménager les terrains et favoriser un retour à la normale pour les habitants sinistrés. Pour cela, le gouvernement a décidé de consacrer un budget de 25 000 milliards de yens. Cette enveloppe est composée d’une taxe spéciale pour la reconstruction provenant de la taxe, de l’impôt sur les entreprises (10% d’augmentation pendant 3 ans à partir du mois de mars 2012, mais cette hausse est appliquée en même temps que la baisse du taux d’imposition sur les entreprises) et de la hausse de l’impôt sur le revenu (plus 2,1% pendant 25 ans à partir de 2013).