21. Ihara Saikaku (1641-1693) est l’un des meilleurs écrivains japonais de l’ère pré-moderne. Au cours de l’ère Edo autoritaire et conservatrice, il a lancé un nouveau type de prose réaliste à travers lequel il a décrit le “monde flottant” lié à l’émergence d’une classe moyenne plus libérale. Hélas, ses personnages – les femmes en particulier – sont inévitablement confrontés à la moralité stricte de l’époque et doivent choisir entre le conformisme et la liberté au risque d’être condamnés à mort. Ils préfèrent souvent un bonheur de courte durée qu’une vie terne.
Ihara Saikaku, Cinq amoureuses, Trad. G. Bonmarchand, Gallimard, 1986
22. Féministe, pacifiste et réformatrice sociale, Yosano Akiko est l’une des plus célèbres écrivaines du pays tout en étant une femme très controversée. Publié en 1901, son livre Cheveux emmêlés est sans doute son chef-d’œuvre. Bien que la plupart des 400 textes de ce recueil soient des poèmes d’amour, Yosano Akiko exploite la forme traditionnelle du tanka (poème sans rimes, de 31 syllabes sur cinq lignes) afin d’affirmer une nouvelle idée de la féminité. Loin de la norme sociale acceptée, les femmes représentées dans ce livre sont fortes, autoritaires et sexuellement libres. Une posture qui passait mal à l’époque.
Yosano Akiko, Cheveux emmêlés, Trad. Claire Dodane, Belles lettres , 2010
23. Paru en 1929, ce roman consacre Kobayashi Takiji comme l’écrivain de la classe ouvrière. Né en 1903 dans une famille pauvre du nord du Japon, il ambitionne de devenir banquier avant de découvrir la vie misérable des ouvriers. Avec Le Bateau-usine, il aborde ce sujet, en plongeant le lecteur dans ces navires où l’on pêche et on met en boîte le crabe – produit de luxe – dans des conditions inhumaines qui conduisent les hommes à se révolter. Ce chef-d’œuvre de la littérature prolétarienne conduira son auteur à la mort. Il connaîtra un nouveau succès dans les années 2000 au moment où la société japonaise se précarise. Les jeunes y cherchent des réponses à la crise.
Kobayashi Takiji, Le Bateau-usine, Trad. E. Lesigne-Audoly, Allia, 2015
24. Dans cette œuvre exceptionnelle, Kamimura Kazuo, l’un des très grands mangaka, cherche à savoir si les hommes sont prédestinés comme cela semble être le cas de Yukie son héroïne. Celle qui croyait être la fille d’une fille mère et d’un puissant propriétaire est en fait orpheline d’une mère qui l’a abandonnée et d’un père violent. Toujours en quête de l’amour absolu, elle ne le trouvera pas. Ce magnifique récit dessiné avec soin illustre les rapports compliqués entre les hommes et les femmes au Japon.
Kamimura Kazuo, Le Fleuve Shinano, Trad. Jacques Lalloz, Asuka, 2008
25. Rédigée en 1927, cette nouvelle n’a été publiée qu’en 1934, à titre posthume, un an après le décès de l’écrivain. Elle est pourtant l’un des textes les plus étudiés par les enfants japonais car elle met en évidence un élément constitutif de l’âme japonaise : le sacrifice pour autrui. Miyazawa Kenji, né dans la préfecture d’Iwate dans le nord-est, a souvent abordé ce sujet dans ses écrits. Cela lui vaut d’être l’objet d’un véritable culte.
Miyazawa Kenji, Train de nuit dans la voie lactée, Trad. Hélène Morita, Motifs, 2000
26. Alors que le Japon est en train de vivre les derniers instants de sa bulle financière avant qu’elle n’éclate, la romancière se lance dans un récit qui montre les dégâts liés à l’usage intempestif d’une carte de crédit. Ce texte permet de saisir à quel point le pays a été atteint par cette maladie qu’est la consommation à outrance. Et même si le Japon ne vit plus aujourd’hui au-dessus de ses moyens, on sent très bien que certains pourraient bien faire une rechute.
Miyabe Miyuki, Une Carte pour l’enfer, Trad. C. Tanaka & A. Fieschi, Picquier, 2001
27. C’est l’histoire d’une improbable rencontre entre une femme de ménage accompagnée de son fils et un ancien professeur de mathématiques à la mémoire défaillante. Elle est révélatrice du talent fou d’Ogawa Yôko, l’un des grands noms du roman contemporain. Au-delà de ce scénario original, elle nous propose un subtil roman sur l’héritage et la filiation, un récit à travers lequel trois générations se retrouvent sous le signe d’une mémoire égarée. Elle pose aussi la question du vieillissement dans un pays où un quart de la population a plus de 65 ans.
Ogawa Yôko, La formule préférée du professeur, Trad. R.-M. Makino-Fayolle, Actes Sud, 2008
28. Les livres sur la guerre du Pacifique, sur les exactions commises par l’armée impériale sont nombreux. Ils relatent la plupart du temps le point de vue des vainqueurs et ne permettent pas de comprendre l’état d’esprit qui pouvait régner au Japon à cette époque. Michael Lucken comble avec brio ce vide avec un essai documenté grâce auquel de nombreuses questions trouvent enfin des réponses. S’il ne fallait lire qu’un seul ouvrage sur cette période chaotique, ce serait celui-là, car il offre une vision du conflit bien différente des autres ouvrages souvent manichéens dans leur approche. Une référence absolue à lire et relire.
Michael Lucken, Les Japonais et la guerre, Fayard, 2013
29. Impressionné par la littérature fantastique et policière d’Edgar Allan Poe, Hirai Tarô a décidé de devenir écrivain et de choisir un pseudonyme forgé à partir du nom de son auteur préféré : Edogawa Ranpo. Ce roman longtemps resté inédit en France est justement un très bel hommage du maître des “mauvais genres” nippon à son inspirateur anglais. On y trouve à la fois une énigme en chambre close, du suspense et de l’anticipation. Il est considéré comme le chef-d’œuvre de cet auteur qui fut pendant longtemps l’écrivain le plus riche du Japon, tant ses romans plaisaient et se vendaient comme des petits pains.
Edogawa Ranpo, Le Démon de l’île solitaire, Trad. Miyako Slocombe, Wombat, 2015