41. Le regard que le mangaka pose sur son pays en 1972 est plus que critique. Après l’échec de la contestation étudiante et des mouvements de gauche à imposer un autre modèle, le Japon s’engage sur la voie qui l’amènera à imposer ses produits dans le monde entier. Peu satisfait de cette perspective, Umezu Kazuo imagine une histoire terrible. Une école est transportée dans un futur où tout est dévasté et où les élèves vont mourir faute de nourriture. L’auteur entend ainsi démontrer que le Japon tel qu’il s’est reconstruit ne propose en définitive que peu d’espoir.
Umezu Kazuo, L’école emportée, Trad. A. Prezman, Glénat, 2004
42. Le deuil est au cœur de cette nouvelle qui a consacré en 1988 cet écrivain. Comment surmonter la mort d’un être proche, en l’occurrence sa grand-mère, dernier maillon d’une famille éclatée ? C’est la question qu’aborde Yoshimoto Banana qui a dû se poser cette question en 2012 lorsque son père Takaaki, célèbre poète et philosophe, est décédé.
Yoshimoto Banana, Kitchen, Trad. D.Palmé & K. Satô, Gallimard, 1996
43. Ouvrage quasi introuvable aujourd’hui, il est un bon exemple du talent de dessinateur d’Ishinomori Shôtarô, mais il est surtout un témoignage précieux de la façon dont le Japon percevait sa puissance économique dans les années 1980. A l’époque, tout réussissait au pays du Soleil-levant et à travers le monde, on se demandait quels étaient les secrets de cette insolente réussite. Les réponses se trouvent dans ce livre d’économie pas comme les autres qui faisait aussi la démonstration que le manga pouvait servir à illustrer des sujets parfois très sérieux.
Ishinomori Shôtarô, Les Secrets de l’économie japonaise en bande dessinée, Albin Michel, 1989
44. Il y a un peu plus de 20 ans, Muriel Jolivet publiait Un Pays en mal d’enfants (La Découverte) dans lequel elle mettait le doigt sur la dénatalité au Japon. Kakuta Mitsuyo n’aborde pas directement le sujet, mais la romancière s’interroge sur le désir d’enfant inassouvi qui peut conduire une jeune femme, Kiwako, à enlever une enfant et à tenter de construire une relation avec elle malgré la nécessité de devoir fuir en permanence. Plein de suspense et de réflexion sur la société actuelle, ce livre a connu un immense succès au Japon et a été adapté au cinéma.
Kakuta Mitsuyo, La Cigale du huitième jour, Trad. Isabelle Sakaï, Actes Sud, 2015
45. C’est pour publier cette histoire fleuve qu’a été fondé en 1964 le mensuel Garo qui deviendra l’un des magazines de référence dans l’univers du manga. Shirato Sanpei avait l’ambition d’intéresser les plus jeunes à l’injustice sociale, en leur offrant tous les mois une saga documentée et dessinée avec soin. Las, les enfants n’ont pas accroché, mais les étudiants qui étaient alors en pleine contestation l’ont plébiscité, trouvant dans ce récit de nombreux éléments en écho avec le Japon. A le relire aujourd’hui, on s’aperçoit que la plupart des thèmes abordés restent d’actualité.
Shirato Sanpei, Kamui-den, Trad. Frédéric Malet, Kana, 2010
46. Dans les campagnes japonaises, on est superstitieux et on croit aux fantômes. Mizuki Shigeru nous raconte son enfance et les histoires qu’on lui racontait et qui ont à tout jamais pénétré son âme. Premier manga distingué par le Grand prix de la bande dessinée au festival d’Angoulême, NonNonbâ a amené de nombreux lecteurs français jusque-là peu enclins à lire des mangas, à s’y intéresser et à les apprécier.
Mizuki Shigeru, NonNonBâ, Trad. P. Honnoré & Y. Maeda, Cornélius, 2006
47. Publié initialement sous la forme d’un reportage dans le mook (une invention nippone) XXI, Les Evaporés du Japon est devenu un ouvrage grâce auquel on en apprend plus sur ce phénomène incroyable des disparitions volontaires. Chaque année, on en recense entre 80 000 et 100 000, selon la police. C’est même devenu une véritable industrie avec des sociétés spécialisées qui aident des individus ou des familles à s’évanouir dans la nature afin d’échapper à l’enfer de l’endettement ou à la menace des yakuza à qui l’on doit de l’argent.
L. Mauger & S. Remael, Les Evaporés du Japon, Les Arènes, 2014
48. Amoureux de la langue japonaise, Inoue Hisashi était un écrivain hors pair. Il a composé des œuvres qui demeurent parmi les plus intelligentes de la littérature japonaise contemporaine. Mais ce n’est pas simplement sa maîtrise de la langue et des jeux de mots qui rendent cet écrivain indispensable à lire. Dans bon nombre de ses romans ou de ses pièces de théâtre, il s’est intéressé à la société qui l’entourait et aux hommes qui la composaient, brossant des portraits sans concession de l’une et des autres. Malheureusement, il a été trop peu traduit en raison des difficultés à rendre en langue étrangère les nuances qu’il apportait dans la rédaction de ses œuvres. On ne peut donc que se féliciter d’avoir la traduction des 7 roses de Tokyo. Il faut surtout féliciter le traducteur, Jacques Lalloz, qui a accompli une prouesse – et ce n’est pas un vain mot – en nous offrant une version française impeccable de ce roman dans lequel justement l’un des personnages se bat pour préserver la langue japonaise face aux assauts de l’anglais dans les mois qui ont suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale. Reste maintenant à s’atteler à la traduction d’autres de ses romans.
Inoue Hisashi, Les 7 roses de Tokyo, Trad. Jacques Lalloz, Picquier, 2011
49. Les éditions Chandeigne proposent depuis plusieurs années les textes écrits par les premiers voyageurs qui ont parcouru le Japon au XVIe siècle. De Luís Fróis à François Caron, elles nous ont offert de beaux récits. Ce recueil contient les premiers témoignages sur l’archipel depuis la mythique Cipango de Marco Polo jusqu’aux premières années de sa découverte. La parole n’est pas seulement celle des religieux, mais celle de marchands et de marins dont les motivations étaient différentes.
Xavier de Castr, La Découverte du Japon, Chandeigne, 2013
50. Couronné en 2010 par le prix Naoki, l’une des grandes récompenses littéraires japonaises, ce roman évoque une période du Japon méconnue en France, l’entre-deux-guerres. Par le biais du témoignage d’une jeune domestique au service d’une famille bourgeoise de la capitale, on perçoit la façon dont les Japonais ont vécu la montée du militarisme à un moment où certains d’entre eux aspiraient à plus de liberté.
Nakajima Kyôko, La Maison au toit rouge, Trad. Sophie Rèfle, Seuil, 2015