On les croyait à jamais disparu, mais certains réapparaissent à des milliers de kilomètres de leur port d’origine.
Plus de quatre ans après le séisme du 11 mars 2011, on continue à découvrir sur les côtes d’Okinawa et de Hawaï des épaves de bateaux de pêche emportés par le tsunami. Pour ceux qui ont tout perdu lors du séisme, ces embarcations constituent une valeur sentimentale précieuse.
Le 13 avril, le petit bateau de pêche Tokumaru N°5 amarré à Kumazawa, qui avait été emporté par le tsunami, a été retrouvé sur la plage de l’île d’Ikema à Okinawa. Son propriétaire est un marin, Fujii Tokushirô. Le bateau était surtout utilisé par son père Tokuo, décédé à 88 ans quelques mois après le séisme. “Je suis surpris qu’il ait dérivé durant plus de quatre ans pour finalement atteindre Okinawa. C’est peut-être notre père qui l’a guidé à prendre le cap vers le sud pour faire plaisir à la famille”, raconte-t-il.
Le quartier de Kumazawa se trouve à la pointe de la péninsule d’Ogatsu, réputée pour ses vagues violentes. Le lieu n’étant pas idéal pour la pisciculture, les pêcheurs vivaient de la pêche aux ormeaux, aux oursins ou encore de la récolte d’algues sauvages. Chez les Fujii, Tokushirô s’absentait de longs mois pour travailler sur un gros navire de pêche et pendant ce temps-là, son père Tokuo, sa mère Tomeko et sa femme Mitsue se contentaient de pêcher à proximité et leur petit bateau faisait partie de leur vie.
C’est ainsi que la famille a vécu pendant plusieurs décennies. Le 11 mars 2011, lors du séisme, Tokushirô travaillait à bord d’un chalutier dans le sud du Japon, alors que son père Tokuo, Tomeko et Mitsue étaient chez eux. Ce tremblement de terre ne s’est pas manifesté comme à l’ordinaire; il a duré plus longtemps et a été plus violent.
Présentant l’arrivée d’un tsunami, Mitsue a quitté la maison située sur les hauteurs pour aller amarrer plus solidement le bateau. Une fois sa mission accomplie, elle s’est tournée vers le large et a vu la marée se retirer de plusieurs centaines de mètres. Se disant que l’arrivée du tsunami était inéluctable, elle est allée se réfugier près de leur maison. A peine, les vagues blanches avaient envahi le quartier que le niveau d’eau est monté rapidement et les habitations sur la côte ont été englouties et de nombreux bateaux emportés.
Par chance, leur maison est restée intacte, mais le bateau s’était volatilisé. En apprenant la nouvelle, Tokuo, le père en est resté abasourdi. Puis, sa santé s’est dégradée et au bout de trois mois, il est décédé. Toute la famille de Tokushirô a surmonté sa tristesse et a pu récupérer un nouveau bateau grâce à une aide extérieure. Elle a commencé à reprendre le rythme de sa vie habituelle. C’est en mars que la famille a appris par le syndicat maritime des pêcheurs de Miyagi que leur bateau avait été retrouvé sur l’île d’Ikema à plus de 2 100 km de son port d’attache.
Il avait perdu son moteur, mais son propriétaire a pu être identifié grâce au numéro d’immatriculation. Ce fut aussi le cas de nombreux débris du séisme retrouvés sur la côte ouest des Etats-Unis et il est bien probable que le bateau de Tokushirô soit arrivé à Okinawa après avoir fait le tour de l’océan Pacifique. “Il a dû poursuivre sa dérive pendant quatre ans à travers toutes les tempêtes en haute mer ; c’est peut-être ce que souhaitait notre père”, dit-il pour expliquer cette retrouvaille miraculeuse.
Dans l’impossibilité de ramener le bateau, il a demandé qu’on le détruise ou qu’on le conserve sur place comme un monument. Actuellement, le syndicat des pêcheurs d’Ikema le conserve dans le jardin du Centre de Yabiji, juste à côté du port d’Ikema. Dans un avenir proche, un panneau sera déposé avec le texte suivant : “En souvenir du séisme du 11 mars”. Le bateau sera ensuite exposé comme un monument du souvenir.
Un autre bateau de la ville d’Ogatsu, dans le quartier de Namiita, utilisé par le défunt Itoh Kyôichi, a été retrouvé, à la fin avril de cette année, à Hawaï sur la plage de l’île d’O’hau. Le bateau qui porte le nom de Katsumaru N°2 était utilisé comme bateau de pêche par M. Itoh, retraité qui avait longtemps travaillé sur un baleinier. Décédé en 2003 des suites d’une maladie, son bateau avait été laissé à l’abandon. Au moment du séisme, on ne connaissait pas son propriétaire. Quant à la femme de M. Itoh, Takeno (68 ans au moment du séisme), elle a été emportée par le tsunami et reste toujours portée disparue depuis.
“Avec ce bateau, c’est notre père, maintenant au paradis, qui est venu chercher notre mère. Cela nous ferait plaisir que le bateau revienne dans le quartier de Namiita et qu’on l’expose dans le Centre de la commune”, raconte leur seconde fille, Sanae, après avoir appris la nouvelle de la découverte du Katsumaru N°2 sur l’île d’O’hau. Les autres habitants du quartier partagent le même avis. “C’est un miracle d’avoir retrouvé le bateau quatre années après. Il faudrait l’exposer dans notre Centre pour nous souvenir du séisme”, déclare l’un d’eux.
Hirai Michiko & Akiyama Yuhiro