Après avoir fait rêver, la voiture a perdu de son attrait. Elle est en train aujourd’hui de renaître.
Dans les années 1950-1960, il n’était pas rare de trouver, dans les premiers magazines de manga de cette période, des pages consacrées au monde de demain. L’an 2000 semblait alors une date si lointaine qu’on imaginait un monde extraordinaire et technologiquement avancé. La vision qui s’en dégageait était plutôt positive et on considérait notamment que les moyens de transport seraient de merveilleux engins, rapides, sûrs et capables d’éviter toutes sortes d’obstacles. Le Japon était pourtant à la veille de découvrir le train à grande vitesse qui ne verra le jour en France qu’une vingtaine d’années plus tard. Malgré cela, les Japonais, qui commençaient à s’approprier l’automobile comme bien personnel, comme l’expression “MyCar” très en vogue à l’époque le laissait entendre, se projetaient volontiers vers l’avenir. Pour eux, c’était la garantie de découvrir de nouveaux univers et de vivre beaucoup mieux.
Le rythme des innovations technologiques s’étant accéléré au début de la décennie suivante et le temps consacré au travail et à de nouvelles formes de loisirs ont contribué à faire disparaître ces espaces consacrés à l’anticipation. A quoi bon faire travailler son imagination quand les nouveautés technologiques se succèdent rapidement? La société japonaise des années 1980 débordant de richesses a l’embarras du choix à tous les niveaux, y compris dans l’automobile. Les constructeurs multiplient alors les modèles. Les automobilistes ont à peine le temps de découvrir leur nouvelle voiture que la même marque sort un autre véhicule encore plus tentant. La société de consommation est à son paroxysme et ce qui compte, ce n’est pas tant le fait de se projeter que celui de posséder toujours mieux. On n’anticipe plus, on amasse.
L’éclatement de la bulle au début de la décennie suivante et la profonde crise qu’elle a induite ont changé une nouvelle fois la donne. C’est le retour à l’utilitaire et l’éloge de la frugalité. Le rêve n’a toujours pas droit de cité d’autant que le pays a plutôt tendance à broyer du noir en ces temps de vaches maigres. Au niveau automobile, on commence à miser sur les voitures de petites cylindrées, les fameuses keijidôsha (voir Zoom Japon n°44, octobre 2014), qui désormais représentent près de la moitié du parc automobile nippon. Mais cela ne peut pas continuer comme cela, car le Japon est confronté à de nouveaux défis qui l’obligent à réagir pour ne pas sombrer. Le vieillissement de la population, la pollution ou encore la raréfaction des matières premières énergétiques sont autant de problèmes auxquels il faut répondre. Les constructeurs se sont donc lancés dans une nouvelle course à l’innovation pour offrir à une clientèle plus sensible à ces sujets des véhicules adaptés. Mais là encore, les innovations techniques qui permettent de réduire la consommation ou de diminuer les émissions de CO2 ne sont pas de nature à titiller l’imagination.
Il faut attendre l’avènement de ce qu’on appelle “la nouvelle économie” pour que l’anticipation retrouve des couleurs. En l’espace de quelques années, de nouveaux entrepreneurs n’ayant pas froid aux yeux ont bousculé l’ordre établi et apporté un vent de fraîcheur. Le rêve redevient possible dans de nombreux domaines. Le secteur de l’automobile n’y échappe pas. Il ne reste plus qu’à faire en sorte que les gens se le réapproprient et laissent travailler leur imagination. Maintenant que la voiture sans conducteur est à portée de main, il ne nous reste plus qu’à inventer le monde qui va avec et qui devrait forcément être différent de celui d’aujourd’hui.
Odaira Namihei