L’écologie sera un thème clé pour les deux réalisateurs comme le montre Takahata Isao, en 1994, avec Ponpoko. Sur un ton tragi-comique, il dresse le portrait des Japonais un demi-siècle après la fin de la guerre. Trois ans plus tard, Miyazaki Hayao reprend le thème du conflit entre les hommes et la nature. Abondamment documenté par des études anthropologiques, Princesse Mononoke narre de façon déchirante l’histoire des hommes se mesurant aux dieux de la forêt. Probablement à l’apogée de sa carrière, le réalisateur s’investit pour créer un condensé des dilemmes de la société moderne. Outre la question de l’environnement, il aborde aussi celle de la question du droit des lépreux. Il termine son récit sans qu’il y ait ni gagnant ni perdant. “Ce n’était pas un film pour dire qui est gentil et qui est méchant. Le bien et le mal, ce sont deux attributs des hommes qui peuvent les avoir en même temps”, estime-t-il. Ce chef-d’œuvre absolu rencontre un succès sans précédent avec plus de 19 milliards de yens de recettes rien qu’au Japon, une première pour un film d’animation.
Le record sera pourtant battu par son prochain film, Le voyage de Chihiro sorti en 2001. Probablement inspiré du monde singulier du mangaka Umezu Kazuo et le Train de nuit dans la Voie lactée du poète Miyazawa Kenji, ce film vaut à Miyazaki Hayao de recevoir l’Ours d’or au prestigieux festival de Berlin, puis l’Oscar du meilleur film d’animation en 2003. Lors de la présentation officielle du film, il choque le public en annonçant que Le voyage de Chihiro est son dernier long-métrage. Même s’il s’agit d’une énième déclaration de retraite – il en avait déjà fait au moins une après la sortie de Princesse Mononoke –, la question de la relève se pose avec de plus en plus d’acuité. Comme s’il voulait répondre à cette question, le studio Ghibli multiplie des films réalisés par d’autres comme Les Contes de Terremer (2006) réalisé par le fils de Miyazaki, Gorô, Arrietty, le petit monde des chapardeurs (2010) réalisé par Yonebayashi Hiromasa et La Colline aux coquelicots (2011) de nouveau confié à Miyazaki Gorô.
En 2013, Ghibli présente deux films de Miyazaki Hayao et de Takahata Isao. Celui du premier, Le vent se lève annonce la fin d’une époque. On sent que Miyazaki Hayao a mis tout ce qu’il voulait dessiner dans ce film avant de terminer sa carrière. Après le premier visionnage du film, il fait part à Suzuki Toshio de sa volonté de se retirer, ce qui sera officiellement annoncé lors d’une conférence de presse. Takahata Isao ne fait pas de déclaration de ce genre, mais on sait que produire un film d’animation à son âge – 81 ans – est loin d’être facile. Une longue pause commence. En 2016, elle est momentanément rompue par le film La Tortue rouge, réalisé par le Néerlandais Michael Dudok de Wit. Narrant une histoire plutôt classique d’un homme naufragé sur une île déserte, il réussit à créer un mélange très fin de deux cultures, japonaise et européenne. C’est la première fois que le Studio Ghibli confie la production de film à un réalisateur étranger, mais “Takahata Isao et Miyazaki Hayao, que j’ai pu connaître grâce à ce film, ne tenaient pas du tout à ce que mon œuvre soit marquée par la culture japonaise”, se souvient Michael Dudok de Wit. “En revanche, je me suis inspiré de Kwaïdan de Lafcadio Hearn.”
Or, la question du successeur reste en suspens. Suzuki Toshio évoque en plaisantant Anno Hideaki, ancien collaborateur de Ghibli et réalisateur de la série Neon Genesis Evangelion (1995-1996) tandis que la presse japonaise et des critiques désignent entre autres Shinkai Makoto et Hosoda Mamoru. Entre-temps, comme s’il avait du mal à contenir sa passion, Miyazaki Hayao, 75 ans, a déclaré mi-novembre devant les caméras de la chaîne publique NHK qu’il reviendrait peut-être sur le devant de la scène avec un nouveau long-métrage. Personne ne sait pour le moment quel sera le sort du synopsis présenté à Suzuki, mais si tout se passe comme prévu, le film verra le jour en 2019.
Yagishita Yûta
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