L’enjeu est donc d’importance dans un pays où les pressions contre ceux qui ne partagent pas la vision conservatrice de la société se multiplient. La Nippon Kaigi n’est évidemment pas derrière l’ensemble des manifestations rejetant la diversité d’idées, mais elle contribue largement à favoriser le raidissement des autorités du pays sur des questions aussi sensibles que l’histoire du Japon, l’institution impériale, la Constitution, la famille ou encore la place des femmes dans la société. Née en 1997 de la fusion de la Nihon wo mamoru kai [Société de protection du Japon] et de la Nihon wo mamoru kokumin kaigi [Conférence populaire de protection du Japon], la Nippon Kaigi est désormais la plus importante organisation conservatrice du pays. Elle s’appuie sur un réseau très dense de soutiens locaux liés eux-mêmes à des associations religieuses très bien implantées localement. Il lui est ainsi très facile de faire passer ses idées. Dans les régions rurales de plus en plus délaissées par les formations traditionnelles, il lui est aisé de s’implanter et de mettre en œuvre une stratégie qui rappelle celle de Mao qui partait des campagnes pour conquérir les villes. Il n’est donc pas étonnant que l’organisation dispose de 243 antennes dans tout le pays. Rares sont les préfectures qui n’en possèdent pas. Yamagata, Shimane, Toyama, Yamanashi et Fukui n’ont pas encore de structures, mais cela ne devrait pas durer dans la mesure où la Nippon Kaigi a besoin d’étendre sa toile pour obtenir le soutien le plus massif possible pour ses différentes initiatives destinées à remettre le Japon sur le chemin qu’il avait commencé à emprunter à partir de la fin du XIXe siècle.
Pour y parvenir, rien n’est laissé au hasard. Le travail de lobbying est intense. Elle a mis en place des structures pour faire entendre sa voix auprès des élus que ce soit au niveau national ou local. Au niveau des régions, sa fédération des élus locaux compte environ 1 700 membres tandis que celle qui regroupe les députés et sénateurs dispose d’environ 280 membres, soit 40 % de l’ensemble des membres de la Chambre des représentants et de la Chambre haute. Ce n’est certes pas suffisant pour aboutir à un grand bond en arrière comme les dirigeants de cette organisation le souhaiteraient, mais force est de constater qu’elle bâtit lentement mais sûrement une force d’influence susceptible, à terme, de bouleverser le fonctionnement de la démocratie japonaise. Elle profite du désintérêt d’une grande partie de la population pour la politique, en particulier dans les centres urbains où le taux de participation électorale baisse plus rapidement que dans les zones rurales.
L’un de ses principaux objectifs est de parvenir à une révision constitutionnelle grâce à laquelle le Japon pourrait retrouver sa fierté d’antan. La Nippon Kaigi entretient l’idée d’un déclassement du Japon par rapport à ses voisins comme la Chine pour inciter les Japonais à la suivre dans sa volonté de changer le texte suprême. En novembre 2015, elle a organisé au Nihon Budôkan, l’une des grandes salles de Tôkyô, un rassemblement de plus de 10 000 personnes destiné à soutenir son projet. Le Premier ministre ne s’y est pas déplacé, mais il s’est adressé au public présent par le biais d’un message vidéo. “La Constitution est un élément qui raconte l’avenir et la structure d’un pays. En ce sens, unissons-nous pour établire une Constitution dans l’esprit d’ouvrir une nouvelle ère”, a-t-il notamment déclaré. De quoi satisfaire Takubo Tadae, le président de la Nippon Kaigi. Interrogé récemment sur sa vision du Japon au cours de la prochaine décennie, il a répondu sans ambages que “la Constitution sera révisée et le Japon deviendra un pays normal.” Il semble parfaitement confiant dans la capacité de son organisation à imposer ses vues d’autant plus que le renouvellement à venir au sommet de l’Etat pourrait amener une personnalité comme Inada Tomomi à la tête du gouvernement. Très proche de la Nippon Kaigi, l’actuelle ministre de la Défense a tout pour lui plaire. Fin décembre, au lendemain de la visite d’Abe Shinzô à Pearl Harbour où il a insisté sur la réconciliation avec les Etats-Unis devant les survivants de l’attaque japonaise du 7 décembre 1941, elle a choisi de se rendre au sanctuaire Yasukuni où l’on honore la mémoire des soldats tombés pour la patrie, y compris celle de criminels de guerre, pour montrer sa fierté d’être Japonaise comme le veut l’organisation dont elle est membre depuis de nombreuses années.
Odaira Namihei
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