Le terme “precariato” et ses dérivés sont utilisés dans de nombreux pays occidentaux, mais avec des significations et des connotations légèrement différentes. Amamiya Karin est la personne qui a le plus contribué à populariser le terme au Japon. “Pour moi, ce mot concerne toutes les personnes dont les conditions de travail sont instables et qui ne connaissent pas la sécurité de l’emploi : les furitâ, les NEET [Not in Education, Employment or Training, personnes sorties du système scolaire sans perspectives] et les travailleurs pauvres. Mais il concerne aussi les chômeurs et ceux qui ont officiellement un emploi stable mais qui, pour différentes raisons, sont soumis à une pression constante au travail et risquent de perdre leur emploi à tout moment”, explique-t-elle.
A ce propos, deux ans après s’être lancée dans sa carrière d’écrivain, Amamiya Karin est tombée par hasard sur Le Bateau-usine [Kanikôsen, éd. Allia]. Écrit en 1929 par Kobayashi Takiji, ce roman est l’histoire de l’équipage d’un bateau-usine qui se rebelle contre ses conditions de travail difficiles. Considéré comme l’un des meilleurs exemples de la littérature prolétarienne marxiste, il a été récemment redécouvert et connu un succès phénoménal dans l’archipel. “J’ai été étonnée de constater à quel point les conditions de travail avaient peu changé en 80 ans. Certaines personnes pensent que ce livre est une relique appartenant à une période historique très différente, mais pour moi, c’est tout à fait d’actualité. Par exemple, les lois actuelles en matière d’embauche, de gestion et de licenciement des travailleurs dits contractuels permettent aux entreprises d’exploiter leurs employés comme ils le souhaitent, même plus que ceux qui travaillent pour des agences d’intérim. C’est exactement ce que le roman décrivait. Il est incroyable de voir que beaucoup de personnes au XXIe siècle travaillent dans des conditions aussi difficiles que leurs grands-pères.” Au cours des dernières années, plusieurs syndicats ont été créés pour répondre aux différentes situations liées au précariat. Des étudiants aux furitâ, en passant même par les hôtesses de club, chaque groupe a son organisation syndicale.
Cela dit, Amamiya Karin doit admettre que les conditions de travail des personnes concernées ne se sont pas améliorées autant qu’elle l’espérait. “J’ai suivi la vie de nombreuses d’entre elles au cours des dix dernières années, et dans l’ensemble, elles mènent encore des vies très instables. Les gens que je connais ont dix ans de plus, ce qui signifie qu’ils ont encore plus de difficultés à trouver un emploi. Selon le gouvernement, l’économie japonaise s’est améliorée au cours des dernières années, mais cette amélioration supposée n’a pas eu de conséquences positives sur la vie des furitâ ni sur celle des travailleurs pauvres.”
Parmi les arguments positifs que le gouvernement japonais met en avant dans les médias figure le très faible taux de chômage. Ce dernier est censé être la preuve que la situation des travailleurs japonais est meilleure que ce que les critiques affirment. Cependant, Amamiya Karin fait partie de ceux qui pensent qu’il ne faut pas prendre les chiffres officiels pour argent comptant. “Dans leurs calculs, ils n’incluent pas les personnes qui ont abandonné la recherche d’un emploi et d’autres catégories habituellement couvertes dans d’autres pays. Par ailleurs, beaucoup de ceux qu’on présente comme des employés appartiennent à tous les groupes défavorisés dont nous avons parlé plus tôt. Bien sûr, ils ont un travail, mais cela ne signifie pas que leur situation économique est stable. Pour moi, mettre des furitâ et des travailleurs pauvres au même niveau que les salariés réguliers relève de la tricherie”, affirme-t-elle.
Alors que le stéréotype du travailleur pauvre en fait une personne appartenant à la classe moyenne inférieure et possédant une éducation limitée, on constate que la plupart des furitâ ont un haut niveau d’étude. “Vous devez avoir en tête qu’actuellement environ 60 % des jeunes en recherche d’emploi sont en mesure de trouver un travail régulier”, explique-t-elle. “Dans une telle situation, avoir obtenu son diplôme universitaire n’aide pas. Au contraire, parfois, cela devient un problème supplémentaire parce que ces personnes sont surqualifiées. Par ailleurs, la poursuite d’une carrière académique en tant que professeur ou chercheur est devenue de plus en plus difficile.”
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