Amamiya Karin critique particulièrement la manière dont le Premier ministre Abe traite ces individus. “En fait, c’était l’ancien Premier ministre Koizumi Junichirô (2001-2006) qui a commencé à évoquer “la responsabilité personnelle”comme si leur situation résultait de défauts personnels au lieu d’être le fruit d’une politique concertée pour protéger les intérêts économiques acquis. Abe n’a non seulement rien fait pour remédier à ce problème, mais il a effectivement aggravé la situation avec la loi de 2013.” Bien que les travailleurs pauvres ne soient pas exactement riches, il y en a désormais tellement que des entreprises se sont créées pour s’occuper d’eux et parfois exploiter leur condition. C’est ce que l’écrivain Kadokura Takashi appelle “le business de la pauvreté”. “Vous avez par exemple des agents immobiliers spécialisés dans les appartements pour lesquels on ne demande pas de cautions ou de loyers d’avance, note Amamiya Karin. Il y a aussi ceux qui cherchent activement des sans-abris et d’autres personnes qui perçoivent des prestations sociales. Ils leur fournissent des logements modestes et trois repas par jour en échange des aides reçues de l’État. Une autre forme du business de la pauvreté concerne les prêts aux étudiants. Au Japon, nous les appelons des bourses, mais cet argent n’est pas gratuit. Ils doivent être remboursés et beaucoup de gens sont pris dans un cycle infernal de dettes.”
Si l’on fait abstraction de la propagande, la politique économique gouvernementale connue sous le sobriquet Abenomics ne semble pas porter les fruits escomptés et la situation économique globale s’est même, semble-t-il, aggravée. Un sondage récent montre que pour 62,4 % des Japonais leurs conditions de vie sont difficiles. Comme le souligne Amamiya Karin, le revenu annuel moyen diminue et on n’a jamais compté autant de personnes gagnant moins de 2 millions de yens [15 570 euros] par an. “Beaucoup de gens sont déprimés après avoir vécu tant d’années au bas de l’échelle. Nous vivons aujourd’hui dans l’ère de la société à deux vitesses, et les riches privilégiés ne se préoccupent pas vraiment de ce qui arrive aux autres. Cependant, cette situation pose un grand risque pour l’ensemble de la nation. Maintenant, de moins en moins de personnes sont en mesure de se marier et d’avoir des enfants. Cela explique que la population japonaise diminue. Si les choses ne changent pas rapidement, nous allons vers la disparition. Je vois beaucoup de découragement chez les personnes de mon âge.”
“Cela dit, de plus en plus de personnes, en particulier chez les jeunes adultes, rejoignent les syndicats et d’autres groupes liés au mouvement des précaires. Dans ce sens, c’est un bon signe pour l’avenir. La lutte pour de meilleures conditions de vie n’est pas encore morte. J’espère vraiment que la jeune génération va propulser un changement parce que, pendant trop longtemps, les Japonais ont vécu dans un état de sidération”, ajoute-t-elle. Bien que l’avenir du Japon soit loin d’être rose, Amamiya Karin estime qu’il y a beaucoup de choses que le gouvernement peut et doit faire pour améliorer les choses. “Tout d’abord, il devrait augmenter le salaire minimum. Ensuite, l’État devrait allouer plus d’argent pour soutenir les pauvres, pour l’école et l’éducation des enfants”, dit-elle. “Les politiciens se plaignent toujours qu’il n’y a pas assez de ressources à consacrer aux jeunes et aux nécessiteux, mais, à mon avis, une politique budgétaire plus équitable serait un très bon moyen de redistribuer la richesse.”
Jean Derome
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