Dans une autre série d’autoportraits débutée en 2005, c’est par le biais du latin que l’artiste relie l’Extrême-Orient et l’Occident. Il s’agit de Tombeau, un ensemble de dix-huit photographies qui se focalisent sur le seul visage de l’artiste où ont été posées dix-huit lettres de verre formant l’expression latine Pulvis cinis et nihil, soit “poussière, cendre et néant”. Ces termes singuliers ont été empruntés à l’épitaphe gravée sur le tombeau d’un cardinal romain que Yoshida Kimiko a visité en 2003 lors de son premier voyage à Rome. Pour l’artiste, ce fut à la fois une découverte et une révélation. Il s’agissait en effet de sa première rencontre avec cette langue morte, et la signification de cette épitaphe, qui évoque la disparition, l’absence et le néant, lui a rappelé l’esthétique minimaliste zen de sa propre culture. Elle a donc décidé de créer une série où son visage, dépouillé de tout accessoire, s’efface dans la couleur “rouge cardinal” au profit des lettres latines, pour laisser place à la vérité universelle de l’impermanence de toute chose et de tout être.
Toujours motivée par la recherche de multiples liens et échanges entre la France et le Japon dans son œuvre, Yoshida Kimiko a créé à partir de 2009 diverses sculptures où ses traits servent de prétexte à la rencontre inattendue de références franco-japonaises. C’est ainsi que le temps d’une œuvre, elle incarne la reine de France, Marie-Antoinette, qui de façon surprenante est un personnage célèbre au Japon depuis le manga à succès Lady Oscar. Il s’agit d’une sculpture en résine, dont la forme globale est un emprunt au buste “Marie-Antoinette drapée” de Louis Boizot, réalisé vers 1780. Yoshida Kimiko a fait exécuter un moulage de ce buste, tout en y incorporant des éléments japonais. Tout d’abord, le visage n’est plus celui de la reine, mais son propre portrait coiffé d’une perruque de geisha. Si le drapé original est bien conservé à l’avant de la statue, il se transforme en dos de kimono à l’arrière. L’artiste a également disséminé des dessins de fleurs de cerisier un peu partout sur son buste, qui se fondent dans la couleur rose dominante. Il en résulte une figure féminine incarnant la beauté idéalisée de deux cultures – la reine et la geisha –, transcendant les âges et les frontières. Cette rencontre à la fois temporelle et géographique entre nos deux pays dans l’art de Yoshida Kimiko est l’essence même de ce que l’on a nommé le japonisme, même si à l’origine il s’agissait surtout de l’impact du Japon dans la création française. 160 ans plus tard, la richesse des échanges entre la France et le Japon ne cesse de nous surprendre.
Charlène Veillon*
*Docteur en histoire de l’art, spécialiste du Japon, auteur de L’art contemporain japonais : une quête d’identité (2008, L’Harmattan) et d’une thèse sur l’œuvre de l’artiste Yoshida Kimiko (2014, Paris 1 Panthéon Sorbonne).
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