Considéré comme l’une des plumes les plus fines de l’archipel, l’écrivain s’est confié à Zoom Japon.
Takahashi Gen’ichirô est l’un des écrivains japonais les plus importants de ces quarante dernières années et l’un des pionniers du roman post-moderne. De la fiction à l’essai, de la critique littéraire aux compte-rendus sportifs en passant par le commentaire politique, ce touche-à-tout de 67 ans a souvent été comparé à Thomas Pynchon et Italo Calvino. Sa rectitude à toute épreuve et son imagination extraordinaire constituent un défi pour le lecteur qui doit renoncer à toute rationalité pour plonger dans les univers qu’il crée.
La vie de Takahashi est presque aussi picaresque que ses histoires. Né dans la préfecture de Hiroshima, il est entré à l’université nationale de Yokohama, mais son engagement dans le mouvement étudiant l’a empêché d’achever ses études. En tant qu’étudiant engagé, il a été arrêté et son expérience de dix mois en prison l’a conduit à souffrir, pendant de nombreuses années, d’une forme d’aphasie. Il a passé les dix années suivantes à travailler dans le secteur de la construction, jusqu’à ce que son médecin lui suggère de se lancer dans la fiction pour sortir de son état.
Son premier succès remonte à 1981 avec son roman déjanté Sayonara Gangsters (Sayonara, Gyangutachi, trad. par Jean-François Chaix, Books éditions) récompensé par un prix. Il part ainsi à la conquête du monde littéraire. Manifestant un réel intérêt pour la culture américaine ainsi que pour la parodie et le pastiche, Takahashi n’a pas peur de mélanger la littérature populaire, la culture pop et la pornographie, notamment dans Jon Renon tai Kaseijin [John Lennon contre les Martiens, inédit en français] afin de créer de nouveaux univers fictifs. Pendant de nombreuses années, il a enseigné à l’Université Meiji Gakuin, tout en publiant des articles dans la presse nationale et une chronique populaire sur les courses de chevaux, une de ses passions.
Pour cette interview, l’écrivain nous a reçus à Kamakura, ville située à 40 km au sud de Tôkyô, où il a vécu de nombreuses années. Enfin, libéré de ses tâches d’enseignement et profitant des vacances d’été, il nous a entraînés dans son studio en désordre où nous avons discuté pendant près de trois heures de la narration, du rôle de l’écrivain dans le monde et de la société japonaise.
Vous venez de commencer la publication de votre nouveau roman Hirohito sous forme de feuilleton dans le mensuel littéraire Shinchô.
Takahashi Gen’ichirô : En effet. Je suppose que cela prendra environ cinq ans pour l’achever. À l’heure actuelle, chaque nouvel épisode ne sort qu’une fois tous les deux mois. Cependant, l’année prochaine, j’aurai plus de temps à consacrer à l’écriture, car je quitterai mon emploi à l’université. Je pourrai alors livrer un nouveau chapitre tous les mois.
Il s’agit d’un roman historique basé sur la rencontre entre l’empereur Hirohito et le scientifique japonais Minakata Kumagusu en juin 1929.
T. G. : Cela fait en réalité partie d’un projet plus vaste lié à l’histoire japonaise. Au cours des 15 dernières années, j’ai travaillé sur une série de fictions historiques. En 2004, par exemple, j’ai publié une sorte de pastiche historique, Nihon Bungaku Seisuishi [Histoire de l’essor et du déclin de la littérature japonaise, inédit en français], qui se déroulait à l’époque Meiji (1868-1912). Dans ce roman, j’ai raconté la vie d’écrivains modernes tels que Natsume Sôseki, Mori Ogai et Ishikawa Takuboku qui se battaient pour faire évoluer la littérature japonaise en les mêlant à la tentative d’assassinat de l’empereur Meiji en 1910 par des anarchistes. Il s’agit sans doute de l’événement politique le plus important du début du XXe siècle, même si la police a utilisé principalement des preuves circonstancielles pour réprimer la dissidence de gauche. En fin de compte, 26 personnes ont été condamnées à mort et 12 d’entre elles ont été exécutées, y compris le chef anarchiste Kôtoku Shûsui et la journaliste féministe Kanno Suga.
Ensuite, j’ai voulu me consacrer à la période Taishô (1912-1926), mais je n’ai pas trouvé de bonnes idées. J’ai donc mis ce projet de côté et je me suis plutôt consacré à une série mensuelle d’articles d’opinion pour le quotidien Asahi Shimbun. Il y a deux ans, l’actuel empereur Akihito a déclaré son intention d’abdiquer en faveur de son fils aîné. Alors, cela m’a fait penser à son père, Hirohito, et au rôle que ces deux hommes ont joué au cours des 100 dernières années de l’histoire japonaise. J’ai donc décidé de consacrer mon prochain roman historique à l’empereur Shôwa, nom donné à Hirohito après sa disparition.