Mais pourquoi avez-vous choisi cet épisode plutôt méconnu dans la vie de Hirohito ?
T. G. : S’agissant d’une œuvre de fiction, j’avais besoin de créer un dialogue entre deux personnages afin de rendre l’histoire plus convaincante et dynamique. Aujourd’hui, Minakata, l’autre personnage, n’est peut-être plus si connu, surtout à l’étranger, mais c’était un intellectuel unique et une personne très originale, en particulier compte tenu du caractère général de la société japonaise à cette époque. Après avoir quitté la prestigieuse université de Tôkyô (parce qu’ayant l’impression de ne rien pouvoir apprendre dans ce milieu universitaire), il s’est rendu en Amérique pour étudier les champignons et surtout les moisissures. Il a ensuite voyagé à Cuba et en Amérique latine avec un cirque et est finalement arrivé en Angleterre, où il a publié de nombreux articles dans la revue Nature, devenant ainsi un naturaliste et biologiste de premier plan. Même après son retour au Japon, en 1900, il a résisté à l’attrait de la capitale pour revenir dans sa préfecture natale de Wakayama, où il s’est finalement installé à Tanabe. Comme vous pouvez le constater, il s’agissait d’un Japonais très atypique.
Puis il a rencontré l’empereur, une chose extraordinaire en soi.
T. G. : Tout à fait. D’un côté, vous aviez Hirohito qui à l’époque était encore vénéré comme un demi-dieu et aussi distant qu’un être humain pouvait l’être. De l’autre, vous aviez Minakata qui était unique en son genre et possédait une véritable fibre anti establishment. En 1910, par exemple, il avait été arrêté pour avoir protesté contre la tentative du gouvernement de consolider et de fusionner tous les sanctuaires shintoïstes locaux. Il estimait que cela entraverait la vie communautaire, ruinerait les bâtiments historiques et endommagerait l’environnement naturel entourant les sanctuaires. En outre, il avait brièvement été lié à la tentative d’attentat contre l’empereur Meiji, bien qu’il n’ait eu aucun lien avec la cellule terroriste implantée à Wakayama.
Cependant, bien que très différents à de nombreux égards, Minakata et Hirohito étaient unis par leur amour pour la science. En fait, l’Empereur lui-même était un botaniste accompli qui se spécialisait dans l’étude des hydroïdes – sujet plutôt obscur –, mais qui s’intéressait également aux moisissures. C’est pourquoi il a souhaité que Minakata lui en apprenne davantage sur les moisissures. Aussi incroyable que ce soit, ce dernier a accepté la proposition, mais il a ajouté qu’il ne souhaitait pas quitter Tanabe, son très cher village. Imaginez que son refus de se rendre à Tôkyô aurait pu être considéré comme un acte de lèse-majesté. Mais Hirohito ne s’est pas senti offensé et a dit qu’il irait à la rencontre du botaniste chez lui!
Quelle a été la réaction des lecteurs jusqu’à présent à l’égard de votre Hirohito ? L’Empereur étant un sujet très délicat au Japon, quiconque parle ou écrit à propos de la famille impériale court un risque sérieux d’être agressé verbalement et parfois même physiquement par des éléments ultra conservateurs.
T. G. : Pour le moment, tout semble bien aller, même si personne ne lit vraiment les magazines littéraires. Peut-être y aura-t-il une réaction plus forte lorsque le roman sera publié sous forme de livre, mais j’en doute. D’une part, bien que cet épisode soit intéressant dans la vie de Hirohito, il n’est pas particulièrement controversé. Et de toute façon, les ultra conservateurs d’aujourd’hui ne sont plus aussi dangereux ou belliqueux que par le passé. D’ailleurs, ils n’aiment pas particulièrement l’empereur aujourd’hui, surtout depuis que Hirohito et son fils Akihito ont adopté le libéralisme – du moins, une sorte de libéralisme. Tout le monde sait qu’après la guerre, Hirohito a refusé de visiter le sanctuaire Yasukuni (voir Zoom Japon n°40, mai 2014) quand il a appris que 14 criminels de guerre de classe A y avaient été secrètement inscrits. Peu de gens savent que dans les années 1970, Hirohito a même pensé à se convertir au christianisme. C’est comme si Donald Trump voulait devenir musulman ! (rires)
Vos éditeurs vous ont-ils déjà demandé de changer de sujet ou de revoir vos histoires et vos essais ?
T. G. : Non, pas vraiment. Pour autant que je m’en souvienne, ce n’est que lorsque j’ai écrit La Centrale en chaleur (Koi suru genpatsu, trad. par Sylvain Cardonnel, Books éditions) que mon éditeur a d’abord hésité à mélanger un contenu porno léger et la catastrophe nucléaire de Fukushima (rires). Vous savez, le plus gros problème aujourd’hui est le harcèlement en ligne, où tous les bigots intolérants sont libres de critiquer anonymement tout le monde et en toute impunité. Mais la plupart de ces gens ne lisent pas de livres, du moins pas mes livres. Ils se concentrent généralement sur les émissions de télévision et les blogs ou sites Internet d’autres personnes. En fait, la plus grande source de problèmes pour moi a été Twitter. Je me souviens avoir été catalogué comme traître et avoir même reçu des menaces de mort pour avoir commenté la politique étrangère du Japon.