Ils ne proposent pas non plus de namazake, les cuvées “crues”, des sakés sans pasteurisation, très tendance ces derniers temps pour la fraîcheur de leur goût. “Les namazake sont bons et je ne suis pas contre cette mode. Mais si tout le monde se met à produire un saké bon à boire tout de suite, nous allons perdre cette capacité à imaginer un saké qui sera meilleur dans un ou deux ans. Certes, la pasteurisation fait perdre ce parfum frais, en revanche l’umami augmente. Notre saké est conçu pour que son goût s’améliore avec le temps. Nous le conservons en général deux ou trois ans avant la mise en bouteille, en mélangeant les millésimes pour donner de la complexité au goût. Nous avons même un millésime d’il y a trente-cinq ans : nous le goûtons chaque année pour vérifier et déterminer le moment de le commercialiser, mais chaque année, on se dit qu’il a encore une marge d’évolution”, note la patron de Kenbishi.
Ce point de vue sur la longue durée qui est en même temps un investissement, Kenbishi le met aussi en œuvre dans la préservation de ses outils. Car il faut s’assurer d’avoir toujours des artisans capables de les fournir. Seul un artisan d’Ôsaka sait produire les grands tonneaux. Lorsque Shirakashi Masataka a appris qu’il allait fermer son atelier en 2020, il a envoyé deux employés de sa brasserie désireux d’apprendre les secrets de fabrication se former auprès de lui, et a construit un atelier de confection de tonneaux à côté de la cave, afin de pouvoir continuer à les utiliser. Pour les petits tonneaux, il a officiellement engagé l’artisan qui les fournissait, et lui a demandé de travailler dans son atelier pour y enseigner la fabrication.
Cet atelier va désormais non seulement fournir les outils pour Kenbishi, mais vise aussi dans l’avenir à répondre aux commandes d’autres producteurs voulant se les procurer. Il a fait l’acquisition d’une machine à faire des nattes de paille à partir d’épis de riz, afin d’en entourer les tonneaux de saké qui serviront d’offrandes dans les temples. Partout au Japon, ces nattes de paille sont aujourd’hui remplacées par celles en plastique. Shirakashi Masataka dit avoir longuement hésité avant d’introduire cet outil, car il ne concerne pas directement le goût du saké. “Pour faire offrande aux Dieux du saké, il faut que le saké soit décoré d’épis de riz, sinon avec le plastique, cela devient une offrande au Dieu du pétrole. Cela compliquerait la vie de nos Dieux, n’est-ce pas ?” ajoute-t-il en plaisantant.
Cet atelier de confection des outils rappelle ce que Imada Miho (voir pp. 8-10), femme tôji, nous a confié. Elle ne cache pas l’admiration qu’elle porte à ces maîtres chais d’une autre génération qui possédaient un savoir global sur l’univers du saké : ils savaient cultiver le riz (beaucoup d’entre eux étaient agriculteurs), tresser les nattes d’épis de riz, réparer les tonneaux, les toits de la cave… Aujourd’hui, le monde du saké est également touché par la spécialisation, mais elle explique que si, par exemple, l’on devait faire un saké à partir de rien, ces tôji d’antan en auraient été capables.
Contrairement à ce que l’on pense, si les petits producteurs artisanaux de saké ne peuvent plus s’occuper de ces domaines, c’est par manque de temps et de moyens. Les outils en bois et les nattes d’épis de riz, ils doivent parfois y renoncer avec regret. Seules quelques grandes brasseries, soucieuses de la transmission de la tradition, ont la capacité d’engager du personnel supplémentaire afin que ces savoirs puissent perdurer. Le cas de Kenbishi est exemplaire.
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