Imada Miho a plongé, quant à elle, dans l’univers du saké de Hiroshima à l’âge de 33 ans et essaie d’avancer et d’apprendre. Elle dit s’être sentie pour la première fois vraiment professionnelle sept ou huit ans plus tard, lorsque le tôji qui venait travailler depuis toujours a pris sa retraite et qu’elle a dû tout planifier toute seule de A à Z. Elle s’est alors mise à la recherche du goût qui pouvait devenir “son” saké, à la fois unique et fortement lié au terroir. Elle a compris que si le saké est fait de riz et d’eau, la qualité de l’eau ne changeant pas, elle pouvait se lancer à la quête d’un riz particulier. C’est ainsi qu’elle a découvert le riz endémique de la région, le hattansô. Cette variété, dont la taille est le double des variétés standards, donc plus difficile à cultiver, n’existait presque plus. L’Institut de Recherche Agronomique qui conservait ces grains a accepté d’en partager une petite quantité avec elle, afin qu’elle puisse essayer de le cultiver.
À la question de savoir pourquoi elle avait pris cette initiative risquée, tout du moins qui demandait un investissement de temps et d’énergie, elle répond qu’elle était curieuse de découvrir le goût que cette variété cachait dans ses petits grains. Contrairement à des variétés connues depuis longtemps pour produire du saké de qualité comme le yamadanishiki, la variété hattansô, d’après elle, conserve une force sauvage, une colonne vertébrale bien droite, et le saké produit avec ce riz peut accompagner des plats aux herbes aromatiques. En général, le saké s’accorde mal avec les herbes qui sentent fort, mais elle assure que c’est la puissance de cette variété endémique qui permet ce mariage.
Elle s’est aussi lancée dans la quête d’un goût qui pourrait correspondre aux plats de la région d’Akitsu, et a conçu un saké en utilisant du kôji blanc. En général, lors de la fermentation, on utilise le champignon kôji jaune, mais avec le kôji blanc, l’acide citrique transparaît davantage, et il peut se marier à merveille avec les huîtres, spécialité d’Akitsu, ou avec les autres fruits de la Mer intérieure. Cette recherche de variétés endémiques ou d’autres méthodes de fabrication est une tendance commune aux producteurs des jeunes générations : ils recherchent le sens du terroir, ou un retour aux sources, et sont avides d’expérimentations, afin de dénicher de nouvelles opportunités pour le monde du saké.
Ses sakés, incarnation du doux paysage de la région, sont appréciés aujourd’hui non seulement en dehors de Hiroshima, comme à Tôkyô, mais aussi à l’étranger. Deux cuvées ont remporté deux années de suite le prix “Kura Master”, une récompense créée par des sommeliers français. Aujourd’hui, les femmes ne se contentent plus d’un rôle de soutien aux hommes artisans, elles travaillent avec eux sur les lieux de préparation du saké, et certaines deviennent tôji, responsables de la production de saké, car la méthode de travail a changé. À l’époque où les artisans travaillaient et vivaient ensemble sur place pendant des mois, il était difficile pour les femmes de se plonger dans le métier. Mais ils étaient obligés de procéder ainsi non seulement parce qu’ils venaient parfois d’une autre ville, mais aussi parce que le travail commençait très tôt le matin, et qu’il fallait surveiller nuit et jour l’évolution de la préparation du kôji, ces spores de champignons indispensables à la fermentation. Imada Miho déclare que pour sa génération, il fallait choisir soit le métier de tôji soit une vie de femme : se marier et avoir des enfants. De nos jours, avec les nouvelles technologies, on peut gérer la température du kôji à distance. D’autres contrôles d’hygiène ou de fermentation sont devenus plus faciles avec les innovations techniques, et il est possible de mener une carrière de tôji tout en ayant une vie privée. Formée par des hommes tôji qui avaient la notion de transmission du savoir, elle est optimiste quant à l’avenir des femmes dans le métier.
Pour décrire ce goût du saké de la région, Imada Miho utilise un mot très intéressant : ko-aji. Pour elle, ce terme, qui signifie “goût délicat”, représente l’essence du goût local. Il est le contraire d’ô-aji, ou “ goût grossier”. Si ô-aji est un mot courant, ko-aji reste peu usité, d’autant plus qu’aujourd’hui, ce qui est massivement demandé est un goût simple, un goût qui vous parle immédiatement. “Les poissons que l’on pêche dans la mer Intérieure, par exemple les demi-becs du Japon, les bars, les chipirons ou les autres poissons de petite taille, ne possèdent pas de graisse comme les thons. Ce n’est pas un goût lisible tout de suite pour tout le monde, car il est subtil. C’est un goût qui murmure”, explique-t-elle.
Ce ko-aji, il faut l’apprendre. Il faut être attentif à l’évolution délicate d’un produit suivant les saisons. Et d’après elle, les goûts des sakés de la région essaient d’accompagner ce goût qui murmure. Les sakés qu’elle produit correspondent tout à fait à l’univers de ko-aji. En mettant en bouche l’un de ses sakés, on sent une légère acidité qui rappelle un lointain parfum de citrons, aperçus un peu plus tôt sur la colline, d’où l’on a contemplé la mer en l’écoutant déclarer : “D’ici, on ne voit rien qui n’est pas beau”. Il est vrai que le paysage est tout en harmonie. Et tout le monde sera d’accord pour dire qu’elle a trouvé sa place pour produire “ses” propres pièces, sa propre création qui met pleinement en scène le paysage d’Akitsu.
S. R.
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