Pour autant, il ne faut pas oublier que tous les partis qui ont formé des gouvernements sans le PLD (le Nouveau Parti du Japon de Hosokawa Morihiro, le Parti du renouveau du Japon de Hata Tsutomu et le PDJ lui-même) ont tous été créés par d’anciens membres du Parti libéral-démocrate, ce qui témoigne malgré tout d’une certaine continuité dans la manière dont la politique a été conduite dans l’Archipel.
Cela dit, le PDJ, après avoir remporté 308 sièges aux élections législatives de 2009, a tenté de remettre en question la politique intérieure et extérieure traditionnelle menée jusque-là par le PLD. Hatoyama Yukio a notamment introduit de nouvelles prestations sociales pour les familles, considérablement augmenté le budget de l’éducation et élargi l’aide sociale (voir pp. 6-8). Il a également essayé de prendre davantage de distance vis-à-vis des Etats-Unis alors que les relations bilatérales avaient été très étroites depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il a tenté une approche plus centrée sur l’Asie avec notamment des rapports plus chaleureux avec la Chine, en cherchant à limiter l’utilisation des bases japonaises par l’armée américaine aux seules situations d’urgence.
Pour sa part, le cabinet de Kan Naoto, lui aussi issu du PDJ, a réagi à la triple catastrophe du 11 mars 2011 en bouleversant la politique du PLD favorable au nucléaire (voir Zoom Japon n°20, juin 2012) et en préconisant la conversion aux énergies renouvelables. Le gouvernement a finalement fermé toutes les centrales nucléaires, laissant le Japon sans électricité d’origine nucléaire pour la première fois depuis les années 1970.
L’ère Heisei a aussi été le théâtre d’une longue lutte entre les médias et l’establishment politique. Souvent accusés d’être trop soumis envers le gouvernement, les journaux et les chaînes de télévision ont activement œuvré au cours de la première décennie à promouvoir une plus grande transparence, dénonçant un certain nombre de scandales politiques et modifiant le regard des Japonais à l’égard de leurs gouvernants. Ils les ont également forcés à réévaluer le passé du pays, en particulier en ce qui concerne les atrocités commises pendant la guerre et certains sujets sensibles comme les femmes de réconfort (voir Zoom Japon n°40, mai 2014).
En 2009, le Parti démocrate du Japon a encore contribué à renforcer le rôle de surveillance des médias lorsqu’il a commencé à autoriser des journalistes de magazines, de sites Internet, de médias étrangers et des journalistes indépendants à assister à des conférences de presse régulières. Cette pratique était jusque-là le privilège exclusif des médias japonais traditionnels. Ce mouvement a propulsé le Japon — qui jusque-là était classé au 51e rang du classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF) – à la douzième place.
Même en matière de politique étrangère, certains quotidiens nationaux et d’autres médias ont continué à mettre l’accent sur la retenue, reflétant l’opposition de la population à un rôle plus actif de l’armée (en affectant, par exemple, du personnel à des opérations de maintien de la paix de l’ONU).
Cependant, lorsque le Parti libéral-démocrate est revenu au pouvoir à la fin de 2012, le Premier ministre Abe Shinzô, dont les positions sont totalement différentes, a entrepris de remettre en cause toutes les réformes des dernières années, attaquant constamment de nombreux médias – en particulier l’Asahi Shimbun – y compris la chaîne publique NHK à chaque fois qu’ils ont osé critiquer le gouvernement sur des questions telles que le nucléaire, les contentieux territoriaux et l’histoire contestée de la Seconde Guerre mondiale. En conséquence, le Japon est retombé, en 2018, à la 67e place (sur 180) du classement de RSF parce qu’il est devenu un pays où le monde des médias est trop souvent contraint à la collusion avec les politiciens, ce qui décourage les reportages contradictoires et favorise l’autocensure.
A compter de 2012, les électeurs ont donné leur confiance à Abe, dans l’espoir que sa politique économique baptisée “Abenomics” mettrait fin à la déflation et à la récession prolongée du pays. Au cours des six dernières années, le chef du PLD a profité de sa position au pouvoir, de sa forte majorité au sein du Parlement et d’une opposition très affaiblie pour rouvrir plusieurs centrales nucléaires et poursuivre un programme politique conservateur.
La loi sur les secrets d’Etat en est un exemple. Promulguée en 2013, cette loi permet au gouvernement de dissimuler des documents sensibles pendant 60 ans. Les fonctionnaires qui divulguent des informations peuvent être punis d’une peine pouvant aller jusqu’à dix ans de prison et d’une amende pouvant aller jusqu’à 10 millions de yens tandis que les journalistes qui les aideraient pourraient écoper de cinq ans d’emprisonnement.
La loi a été critiquée par des centaines d’universitaires et par plusieurs organisations japonaises et internationales, notamment Human Rights Watch, la Fédération des syndicats de journalistes et la Fédération japonaise des associations d’avocats, qui la considéraient comme une grave menace pour les lanceurs d’alerte et même les journalistes rapportant des secrets.
L’autre préoccupation majeure de l’actuel Premier ministre a été d’assurer la promotion du Japon en tant que puissance militaire. Au début de l’ère Heisei, le gouvernement avait promis des milliards de dollars américains pour la guerre du Golfe, mais des contraintes constitutionnelles l’avaient empêché de participer à la guerre. En 2003, le Premier ministre de l’époque, Koizumi Jun’ichirô, avait approuvé un plan visant à envoyer environ un millier de soldats des forces d’autodéfense japonaises pour aider à la reconstruction de l’Irak, le plus important déploiement de troupes nippones à l’étranger depuis la Seconde Guerre mondiale.
Enfin, en 2014, le gouvernement Abe a annoncé une révision de la politique de défense du pays. Cela n’a pas été fait en révisant la Constitution – qui n’a pas été modifiée en 72 ans d’histoire – mais en réinterprétant le principe de force minimale nécessaire, qui continue de limiter la portée des actions autorisées par le Japon en matière de légitime défense collective.
Cela signifie que le Japon peut désormais engager une action militaire si l’un de ses alliés devait être attaqué. Selon le chef du gouvernement, cette démarche était nécessaire pour “renforcer la coopération mutuelle avec les États-Unis”. Mais pour de nombreux experts, cela risque d’entraîner le pays dans une direction dangereuse, car il cherche de nouvelles capacités de défense ce qui outrepasserait les limites autorisées par sa Constitution pacifiste.
Ce choix comme d’autres, associé au mécontentement grandissant de la population à l’égard des partis politiques et à la maladresse avec laquelle les autorités ont géré les catastrophes naturelles (à l’instar des tremblements de terre de 1995 et 2011), la corruption et l’accident nucléaire de Fukushima, ont incité une partie de la population à jouer un rôle beaucoup plus actif dans la société (voir Zoom Japon n°86, décembre 2018). En conséquence, les 30 dernières années ont été marquées par la création de nombreuses organisations non-gouvernementales et d’associations ayant pour but d’assurer une présence sur le terrain et de fournir une aide que les autorités n’apportent pas en temps voulu. Les années post-Fukushima ont également vu de plus en plus de Japonais descendre dans les rues pour protester contre les politiques gouvernementales douteuses telles que la loi sur les secrets d’État et la connivence entre le PLD et les grandes entreprises.
Entre-temps, l’empereur Akihito, qui est sur le point d’abdiquer, a œuvré tout au long de son règne pour faire face au sombre passé de la guerre dans le pays et a exprimé son respect pour la Constitution pacifiste, devenant ainsi un nouveau type de symbole pour la nation japonaise (voir Zoom Japon n°87, février 2019).
Jean Derome
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