En 30 ans, l’otakisme qui était perçu comme une sous-culture s’est imposé au Japon, mais aussi dans le reste du monde.
Heisei aura été l’âge d’or de l’otakisme (voir Zoom Japon n°72, juillet 2017) qui a pris d’assaut non seulement le Japon, mais le monde entier. De nos jours, les termes “manga” et “anime” se retrouvent dans la plupart des dictionnaires, la culture otaku est célébrée dans de nombreuses conventions aux quatre coins du monde. Sans oublier d’ajouter que la bande dessinée et l’animation made in Japan sont largement disponibles dans de nombreuses langues ; et pas seulement les sagas de robots géants devenues populaires en Occident, mais aussi des manga shôjo (pour jeunes filles) et des histoires “d’amour entre garçons”.
Toutefois, l’ère Heisei a commencé de la pire des manières pour la communauté otaku. Elle n’était en place que depuis six mois lorsque, le 23 juillet 1989, Miyazaki Tsutomu fut arrêté pour avoir agressé sexuellement une écolière avant d’avouer le meurtre de quatre enfants âgés et le viol de leur cadavre. La police a trouvé chez lui 5 763 vidéos, parmi lesquelles de nombreux films d’animation et d’horreur, ce qui a incité les médias à le baptiser “le meurtrier otaku”.
L’opinion à l’égard des fans de manga, d’anime et de jeux vidéo n’était déjà pas positive. Le terme “otaku” lui-même avait été forgé pour la première fois, en 1983, par l’essayiste Nakamori Akio pour décrire tous les “jeunes hommes socialement incompétents” qui, selon lui, étaient coupables de chercher refuge dans un monde fantastique fait de jouets et de jolies filles. Cependant, les meurtres de Miyazaki ont aggravé la situation en suggérant que les jeunes gens amateurs d’animes étaient des pervers dangereux, psychologiquement perturbés.
A la fin des années 1980 et pendant la plupart des années 1990, se dire otaku un otaku n’était pas quelque chose que l’on pouvait partager ouvertement avec d’autres personnes. Un otaku occupait généralement les échelons inférieurs de la hiérarchie scolaire ; il était victime de harcèlement à l’école et considéré avec dédain par les filles. En conséquence, ce phénomène est resté pendant de nombreuses années une sous-culture clandestine dont les membres se rencontraient lors d’événements peu annoncés et tenus informés par le biais d’Animage, de Newtype et d’autres magazines spécialisés apparus au cours de ces années.
Parallèlement, un certain nombre de titres ont commencé à gagner l’univers de la culture populaire, à commencer par le jeu de rôle Dragon Quest créé par Horii Yûji dans le but spécifique d’attirer un public plus large. L’univers graphique du jeu a été réalisé par le mangaka Toriyama Akira, dont la série Dragon Ball Z a fait ses débuts à la télévision japonaise en 1989 et est devenue un énorme succès national. Trois ans plus tard, Sailor Moon de Takeuchi Naoko devint une série animée tout aussi réussie jusqu’en 2007, mettant en valeur le genre bishôjo des “belles jeunes filles” qui était jusque-là considéré comme le domaine exclusif d’une foule ringarde.
Dragon Ball Z et Sailor Moon vont s’imposer comme les fers de lance de l’invasion de la culture otaku en Europe et en Amérique, alors qu’au Japon, rien n’a éclipsé l’impact de Neon Genesis Evangelion d’Anno Hideaki, une série animée qui reprend le genre classique du meka (robot géant) dans des directions nouvelles et inattendues, donnant une profondeur plus émotionnelle à ses personnages tout en introduisant des concepts philosophiques, psychologiques et même religieux. Diffusée à la télévision en 1995-1996, la série originale de 26 épisodes d’Evangelion est rapidement devenue un phénomène culturel. Elle a contribué à accroître la visibilité sociale de la communauté des otaku.