C’est en effet un des grands reproches fait au gouvernement. Alors que l’arrivée en nombre de travailleurs étrangers suscite des craintes au sein de la population, de nombreux responsables ont regretté que les pouvoirs publics ne justifient leur empressement à ouvrir les frontières que par l’urgence économique. Voilà pourquoi le sujet reste particulièrement sensible et qu’il n’a pas fini de faire couler beaucoup d’encre. Dans la presse économique, à l’image de l’hebdomadaire Tôyô Keizai, on voit plutôt d’un bon œil la perspective d’accueillir une main-d’œuvre qui fait aujourd’hui cruellement défaut. Soucieux de défendre l’économie, le Premier ministre Abe souhaite répondre aux besoins des entreprises au détriment d’une réflexion plus poussée. D’ailleurs, le magazine Shûkan Kinyôbi n’a pas manqué de le mettre en avant dans le numéro qu’il a consacré au sujet au début de l’année. Quand Tôyô Keizai choisit d’illustrer sa couverture avec des tas de personnages souriants et visiblement heureux de voir le pays du Soleil-levant ouvrir ses frontières à l’immigration, l’hebdomadaire de gauche montre un travailleur étranger dans la construction en sueur, le visage tendu. Il va même jusqu’à se demander s’il ne s’agit pas d’une nouvelle forme d’esclavage moderne qui attend les nouveaux venus bénéficiant du nouveau régime de visas entré en vigueur le 1er avril.
Les quelque 350 000 personnes que le Japon compte attirer au cours des 5 prochaines années répondent avant tout à un besoin impérieux de bras dans des domaines qui attirent de moins en moins les Japonais. Par ailleurs, le vieillissement de la population motive aussi les autorités et les employeurs à se tourner vers des travailleurs plus jeunes venus d’autres pays. Dans les années 1980, en pleine bulle financière, bon nombre de Japonais avaient déjà tourné le dos aux boulots qualifiés de 3D (dur, dégoûtant et dangereux), les laissant à des travailleurs asiatiques ou sud-américains d’origine japonaise. La crise des deux décennies suivantes s’est transformée en cauchemar pour nombre d’entre eux obligés pour certains de repartir ou de vivre dans des conditions pour le moins précaires.
Le retour de la croissance a une nouvelle fois tendu le marché du travail. Toutefois, la situation est sensiblement différente avec une précarisation (voir Zoom Japon n°89, avril 2019) plus importante de la population japonaise. Ce qui fait craindre à de nombreux observateurs un retour de bâton bien plus sévère pour les travailleurs étrangers si le Japon devait rencontrer une nouvelle phase de crise. Ils s’inquiètent en effet de l’absence de mesures d’accompagnement pour les nouveaux venus afin que ceux-ci puissent mieux s’intégrer dans la société et éviter de devenir une main-d’œuvre prête-à-jeter au moindre soubresaut économique défavorable.