Avant cette initiative et en parallèle du visa de travail classique, on trouvait une autre catégorie de titre de séjour pour ces ouvriers étrangers non-diplômés, celle des “stagiaires non-qualifiés”. Ce statut a récemment fait l’objet de virulentes critiques en raison des conditions très strictes qu’il imposait à son détenteur, et pour les dérives auxquelles il a donné lieu dans certaines entreprises. Aujourd’hui, 328 360 travailleurs étrangers résident au Japon sous ce titre de séjour et nombre d’entre eux pourront, s’ils le souhaitent, bénéficier de ce fameux visa de “compétences spécifiques”, censé venir combler les lacunes du statut de stagiaire. “Il y aura deux catégories distinctes dans ce visa. En comparaison avec celui des stagiaires, il n’y aura plus de limite dans le renouvellement du droit de séjour pour le type 2. Le détenteur ne sera plus exclusivement lié à un unique employeur. Enfin, le possesseur du type 2 pourra également être rejoint par son conjoint(e) et leurs enfants le cas échéant, selon certaines conditions”, précise Ishioka Kuniaki.
Cette possibilité de pouvoir changer d’employeur sur la période de cinq ans offrira une plus grande flexibilité au travailleur étranger et lui donnera davantage de liberté de mouvement. Il ne sera désormais plus pieds et poings liés à son entreprise sous peine de devoir repartir, comme c’est encore le cas aujourd’hui pour les stagiaires non-qualifiés. “Nous allons aussi les accompagner par le biais de services dispensés dans les langues natives des différents ressortissants. De bonnes pratiques ont été mises en place dans certaines entreprises pour lutter contre les discriminations et nous allons nous en inspirer pour les déployer dans l’ensemble des secteurs et permettre de résoudre ces problèmes”, promet-il.
Car c’est bien là que le bât blesse. Ces dernières années, plusieurs scandales concernant des stagiaires non-diplômés, ont éclaté laissant apparaître des conditions de travail alarmantes, des horaires à rallonges, des salaires largement en-dessous de la moyenne et des problèmes de sécurité qui ont provoqué des accidents du travail graves. Selon Ibusuki Shôichi, avocat spécialisé dans le droit des travailleurs étrangers non-qualifiés, les conditions d’accueil de ces derniers sont tout simplement déplorables. “Les droits humains de ces personnes ne sont ni garantis, ni protégés. C’est vraiment une honte que le Japon ne possède toujours pas de véritable politique d’immigration alors que le pays se dit prêt à accueillir davantage de travailleurs étrangers. Il faut qu’un environnement multiculturel soit réfléchi et défini”, affirme-t-il. Pour rappel, le Japon compte 1, 2 million de travailleurs étrangers majoritairement des Chinois, des Vietnamiens et des Philippins, essentiellement employés dans ces secteurs qui ont tant de mal à recruter. Selon les chiffres officiels du ministère de la Santé du Bien-être et du Travail, 171 ouvriers étrangers sont morts à la suite d’un accident de travail en moins de dix ans. 759 cas d’abus potentiels ont été recensés et le nombre de disparitions augmente régulièrement, passant de 7 089 à 9 052 l’année dernière.
Eng Pisey, 33 ans, est Cambodgienne. Il y a deux ans, elle a laissé son fils au pays pour devenir employée dans une usine de textile au Japon. Elle était alors pleine d’espoir, mais en arrivant dans l’Archipel, ce fut la douche froide. La jeune femme déplore des conditions de travail particulièrement pénibles, avec des horaires interminables et un salaire très en deçà du tarif horaire moyen. “Je travaillais de 8 h 30 à minuit, parfois jusqu’à 2 ou 3 heures du matin. Je n’avais ni jours de repos, ni vacances alors que les autres salariés y avaient droit. Mon salaire de base était de 60 000 yens (466 euros) puis 300 yens par heure supplémentaire (2,33 euros). La seconde année, c’est passé à 400 yens par heure supplémentaire, mais cela ne me permettait toujours pas de survivre, ni d’envoyer de l’argent à mon fils, qui étudie et qui est resté vivre au Cambodge. Je n’ai pas pu rembourser mes dettes et l’argent que j’ai emprunté à la banque pour venir m’installer au Japon. J’aurais aimé pouvoir changer de travail, mais ce visa ne me permet pas de le faire”, raconte-t-elle. Alors que le salaire horaire moyen japonais est d’environ 1 200 yens, les revenus de Eng Pisey sont bien inférieurs. “S’ils ne coopèrent pas et n’acceptent pas ces conditions, on les menace de les priver de visa”, confirme Ibusuki Shôichi. Aujourd’hui, la jeune Cambodgienne est “écœurée, je veux juste rentrer chez moi. Je n’ai pas d’argent. Je veux m’occuper de mon fils qui m’attend au pays, puisque je n’ai de toute façon pas le droit de le ramener au Japon”. Elle a voulu porter plainte. Mais lorsqu’elle s’est rendue dans une agence qui vient en aide aux travailleurs étrangers, “on lui a dit qu’elle n’avait aucune preuve de ce qu’elle avançait”, ajoute l’avocat.
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