L’actualité nous montre en effet que les Japonais demeurent bien mystérieux aux yeux de la plupart des Européens. La récente affaire Carlos Ghosn en est peut-être la meilleure illustration. L’arrestation et la garde à vue prolongée de l’ancien patron de l’alliance Renault-Nissan ont donné lieu à de nombreux commentaires sur le Japon qui ont souvent révélé une faiblesse au niveau des connaissances de la société locale. Ruth Benedict note avec justesse, dans Le Chrysanthème et le sabre paru en 1946 au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, que “l’un des handicaps du XXe siècle est que nous avons encore les notions les plus vagues et entachées de préjugés, non seulement sur ce qui fait du Japon une nation de Japonais, mais sur ce qui fait des Etats-Unis une nation d’Américains, de la France une nation de Français, de la Russie une nation de Russes”. Au XXIe siècle, sa remarque reste valable dans la mesure où cette attitude ne nous donne pas “la moindre chance de découvrir ce que sont les habitudes et les valeurs des autres. Si nous nous en donnions une, peut-être nous apercevrions-nous qu’une attitude n’est pas forcément mauvaise parce qu’elle ne correspond pas à celle que nous connaissons. Les verres à travers lesquels chaque nation regarde la vie ne sont pas ceux dont les autres nations se servent. Il est difficile d’être conscient du regard qu’on jette sur les choses : toutes les nations acceptent le leur sans le remettre en question.”
Avec l’engouement d’une grande partie du monde pour le Japon comme l’illustre l’explosion du tourisme dans l’Archipel depuis quelques années, de nombreuses personnes manifestent leur désir de mieux comprendre ses habitants. Elles sont à la recherche de clés pour décoder une société bien différente de la leur. En 1998, lors de la Coupe du monde de football en France, de nombreux reportages ont été consacrés aux supporters nippons qui, après le match de leur équipe, restaient dans le stade pour nettoyer les travées où ils étaient installés pendant la partie. Cela suscitait alors un certain amusement, mais, avec le temps, on a fini par comprendre que les Japonais, “ces êtres éminemment sociaux” comme les désigne Jean-Marie Bouissou dans son dernier ouvrage Les Leçons du Japon (éd. Fayard), sont avant tout conscients d’autrui. Cela conditionne une grande partie de leur comportement. S’appuyant sur sa longue observation du comportement des étudiants japonais et de leurs homologues français en séjour dans l’Archipel, l’ancien directeur de recherche à Sciences Po note avec justesse que les seconds “s’entraînent à ‘faire quelque chose pour la société’, mais à leur gré et à leurs conditions” quand les premiers “en rangs serrés, apprennent à ‘faire société’, tous de la même manière, sous la férule de leurs aînés”. Il met en avant le fameux conformisme nippon, mais se demande si “savoir ‘faire société’ n’est pas ce que l’on peut faire de mieux pour elle”.
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