Au bout de la rue commerçante se trouve la porte du Taishakuten. Dans Otoko wa tsurai yo, le supérieur du temple est interprété par Ryû Chishû, qui a notamment joué dans Voyage à Tokyo (1953) et d’autres films d’Ozu Yasujirô. Le temple lui-même mérite d’être exploré non seulement pour ses nombreux trésors, mais aussi pour son atmosphère. Venant de la rue commerçante bondée et bruyante, on se retrouve soudain plongé dans l’univers tranquille et presque magique du temple, renforcé par son magnifique jardin.
Notre prochain arrêt est un autre ajout ultérieur au paysage de Shibamata : le musée de Tora-san. Tandis que les lieux réels de Shibamata sont mis en évidence dans les films, les scènes d’intérieur ont été tournées au studio n°9 de la Shôchiku à Ôfuna, au sud de Yokohama. Tous les décors ont été préservés religieusement, y compris le magasin de dango avec sa cuisine et son salon. Les vêtements de Tora-san, son chapeau de marque et sa valise se trouvent bien sûr ici aussi. D’autres espaces sont consacrés aux vedettes féminines du film dont Tora-san tombe éperdument amoureux film après film. Faire une apparition dans un des épisodes de la série était alors considéré comme un excellent moyen d’acquérir le statut de star dans le secteur très concurrentiel du spectacle au Japon. Une des raisons pour lesquelles Yamada Yôji a choisi Shibamata pour tourner les films de Tora-san est qu’à l’époque la zone entourant le temple était composée de champs et de grands espaces et n’avait rien perdu de son charme ancien. Inutile de dire que Shibamata a beaucoup changé depuis la fin des années 1960. Il suffit de marcher à l’est de la gare le long de la rue principale pour voir le “vrai” Shibamata contemporain, pratiquement impossible à distinguer des autres banlieues de Tôkyô. Mais ici, la vie semble se dérouler à un rythme plus lent et plus détendu.
L’Edogawa, qui coule paisiblement à proximité, est le meilleur symbole du quartier. S’y promener le long est la meilleure façon de terminer notre découverte. Selon l’heure de la journée, vous pourrez voir les lève-tôt faire de la gymnastique suédoise, les élèves se rendre à l’école ou en revenir, et un flot incessant de joggeurs. On voit souvent Tora-san lui-même assoupi sur la rive du fleuve, philosophant sur la vie ou observant certaines personnes.
Yagiri no Watashi, le dernier ferry à moteur de Tôkyô reliant Katsushika à l’autre rive de l’Edogawa dans la préfecture de Chiba, est visible depuis le talus surélevé. Ce service a commencé au début du XVIIe siècle et autrefois, seuls les agriculteurs qui travaillaient des deux côtés de la rivière étaient autorisés à traverser gratuitement. Compte tenu de sa popularité durable auprès des touristes et de son lien avec la saga cinématographique (dans le tout premier épisode, Tora-san rentre chez lui par cette voie), le vieux bateau devrait continuer son service sur les eaux stagnantes de l’Edogawa pendant encore de nombreuses années.
Yamada Yôji affirme qu’il ne se lasse pas de Shibamata et qu’il se sent mieux chaque fois qu’il y revient. Ayant passé son enfance en Mandchourie, il n’avait pas vraiment d’endroit chez lui avant de découvrir Shibamata. “Chaque fois que j’arrive, tout le monde me salue comme si j’étais de leur famille”, raconte-t-il. “Même les quartiers modernes, bien que différents des années 1960, ont conservé une ambiance de vie tranquille. Et l’Edogawa est toujours là, serpentant paresseusement à travers les champs verdoyants.”
C’est en effet la nostalgie du “bon vieux temps” qui incite les personnes – la plupart âgées de 50 ans ou plus – à s’y rendre. Les visiteurs du musée finissent souvent par se souvenir de leur propre enfance et de la façon dont leur ville natale ressemblait à Shibamata. Les jeunes générations ne se soucient peut-être pas de Tora-san – ni du passé du pays – d’ailleurs, mais Tora-san est sûrement là pour rester… surtout que le 50e film de la série sortira sur les écrans à la fin de l’année sous le titre Okaeri Tora-san [De retour, Tora-san].
Gianni Simone
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