Les deux principaux alliés des Etats-Unis en Asie sont désormais à couteaux tirés. Une situation inquiétante.
Cela fait des années que les rapports entre le Japon et la Corée du Sud connaissent des hauts et des bas. Une situation qui trouve ses causes dans l’histoire, notamment celle du XXe siècle au cours de laquelle la péninsule coréenne a vécu sous le joug du Japon. Les blessures liées à cette période sont restées vives en dépit du traité de 1965 qui devait tirer un trait définitif sur ce passé tragique. Mais au fil des années, on s’est rendu compte qu’il n’en était rien et qu’une partie de la population coréenne gardait une profonde rancœur à l’égard du Japon au point de peser sur le pouvoir local afin que celui-ci obtienne davantage de compensations de la part de son voisin nippon.
L’impasse dans laquelle les deux pays se trouvent actuellement en est le résultat. Les deux gouvernements campant sur leurs positions, surtout pour des raisons de politique intérieure, on en est aujourd’hui à une situation de quasi rupture alors que Séoul et Tôkyô sont les deux plus importants alliés des Etats-Unis dans une région du monde soumise à la fois à la poussée de la Chine et aux caprices de la Corée du Nord. Incapables de trouver le chemin du dialogue, les responsables politiques des deux côtés du détroit de Tsushima ont pris des décisions qui ont respectivement conduit leurs homologues à aller plus loin dans l’absurdité. Après la décision du Japon de rayer la Corée du Sud de la liste blanche des pays bénéficiant d’un traitement spécial et de limiter les exportations de certains produits indispensables à la production de semi-conducteurs, la Corée du Sud a choisi de se retirer de l’Accord de sécurité générale portant sur des informations militaires (Gsomia) en vertu duquel les deux pays s’étaient engagés à échanger leurs informations sensibles, notamment sur la Corée du Nord. Une décision symbolique qui souligne la profondeur de la fracture entre eux.
Le plus grave aujourd’hui, c’est que cette situation incite les plus radicaux sud-coréens et japonais à faire monter la pression. En Corée du Sud, les appels au boycott des produits nippons, des voyages touristiques dans l’Archipel voire des Jeux olympiques trouvent un écho tandis qu’au Japon, les manifestations anti-coréennes se multiplient, que certaines publications font de la surenchère en évoquant “la prise de Séoul en 3 jours” si un conflit devait être déclenché. Ce qui est inquiétant, c’est l’intransigeance des deux gouvernements qui conduit l’opinion publique à prendre position. Un sondage du Mainichi Shimbun du 16 septembre indique ainsi que 64 % des Japonais soutiennent la décision gouvernementale de rayer la Corée du Sud de la liste des pays de confiance. Quelques jours auparavant, une étude réalisée par Gallup Korea révélait que 61 % des Sud-Coréens blâmaient le Japon pour son attitude à l’égard de leur pays. A ce petit jeu, ni Séoul ni Tôkyô n’y gagnera. Il est sans doute temps que les deux voisins cherchent à rouvrir la voie du dialogue. Gabriel Bernard