“Quand j’avais une vingtaine d’années, je lisais beaucoup de magazines. En outre, à l’université, j’ai obtenu une licence en journalisme, ce qui m’a poussé à m’intéresser à ce type de support. Je me souviens que dans ces années-là, au début des années 1980, les magazines féminins comme An An et Marie Claire, dont l’édition japonaise a débuté en 1982, étaient des produits bien conçus dont on pouvait apprécier la qualité de la mise en page et la qualité des images sur chaque page. Ils présentaient peut-être des vêtements que je ne porterais jamais, mais le simple fait de tourner leurs pages était une joie pour les yeux et ils offraient des conseils de manière désinvolte et naturelle. An An stimulait l’imagination et donnait à réfléchir. Le magazine ne se contentait pas de donner des informations. Mais vers l’âge de 30 ans, j’ai constaté que de nombreux mensuels s’étaient transformés en simples catalogues sans style, si bien que j’ai perdu tout intérêt pour eux. Je n’aime pas non plus la façon condescendante dont ils vous disent maintenant quoi porter et comment, du genre : “si vous voulez être belle, suivez nos instructions à la lettre”. Ces publications ne laissent aucune liberté de pensée à la lectrice”, regrette-t-elle.
Publié initialement deux fois par mois, An An est devenu un hebdomadaire dans les années 1980. Sur le plan du contenu, le magazine a embrassé les années de frénésie consommatrice liée à la bulle financière tout en cherchant à promouvoir la nouvelle image de la femme japonaise plus forte et libérée. La récession de la décennie suivante a mis fin à l’atmosphère festive qui avait prévalu pendant les années de la bulle. Pour beaucoup de gens, le début de l’ère Heisei (voir Zoom Japon n°89, avril 2019) a été vécu comme une période de confusion et d’anxiété. Aussi An An offrait-il à ses lectrices des dossiers sur l’astrologie et des “conseils amoureux” donnés par des “experts” comme Akimoto Yasushi (le créateur d’AKB48), la mangaka Saimon Fumi et la chroniqueuse de longue date Hayashi Mariko. Parmi les sujets préférés des lectrices figure également le classement de l’homme le plus aimé qui, dans les années 1990, était dominé par Kimura Takuya, membre du boys band SMAP. Il était si populaire auprès des lectrices qu’il a fait la couverture lors du 30e anniversaire du magazine.
Pour son 50e anniversaire, le magazine a présenté une nouvelle génération d’idoles : le groupe King & Prince. Comme Kimura Takuya en 2000, les membres de King & Prince portaient des costumes de panda. Nous avons donc interrogé Satô Masako sur l’obsession d’An An pour cet animal. “An An serait en fait inspiré du nom d’un panda. Il existe plusieurs théories à ce propos. Parmi elles, il y a l’histoire de la célèbre actrice Kuroyanagi Tetsuko qui aurait vu un panda appelé An An lors d’une visite au zoo de Londres. Cet épisode a dû plaire au public japonais car, à l’époque, les zoos japonais ne possédaient pas de pandas. Un peu plus tard, l’idée de lancer une version féminine de Heibon Panchi est apparue. Le nouveau magazine n’avait pas encore de nom, et les quatre numéros de l’édition pilote comprenaient une carte postale que les lecteurs pouvaient utiliser pour envoyer leurs suggestions. Finalement, ils ont choisi l’idée d’une lycéenne de la préfecture d’Akita qui proposait An An comme nom pour le futur magazine”, rapporte-t-elle.
Au cours des 5 dernières décennies, le marché des magazines a perdu de son dynamisme, mais An An dispose encore d’un tirage respectable. Comme il y a 50 ans, ses mots clés sont kawaii, oishii (délicieux) et oshare (élégant, à la mode), le dernier terme désignant à la fois la mode féminine et les hommes qui sont régulièrement représentés sur sa couverture. “L’An An d’aujourd’hui ne peut pas vraiment être comparé à la publication originale. Il semble que ses lectrices s’intéressent surtout aux idoles masculines, et le magazine a dû s’adapter à leur goût. De nos jours, la plupart des publications essaient toujours de suivre les modes en constante évolution. An An est l’une des rares exceptions qui a encore le pouvoir de créer des tendances”, conclut-elle.
Jean Derome
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