Nous sommes le 11 mars 2011, à 14 h 46, et la moitié du Japon tremble alors qu’une longue et intense secousse sismique frappe la côte Nord-Est du pays (voir Zoom Japon n°9, avril 2011). Ce séisme est le plus puissant jamais enregistré dans l’Archipel et le quatrième tremblement de terre le plus fort que la planète ait ressenti depuis le début des enregistrements modernes en 1900. A la suite de cette énorme secousse, un gigantesque tsunami a dévasté la côte Pacifique du Tôhoku, nom donné à cette partie du pays, tuant plus de 15 000 personnes et faisant 2 500 disparus. Le tremblement de terre du 11 mars a été la plus grande catastrophe naturelle au Japon depuis celui de Kôbe, le 17 janvier 1995.
Cela fait maintenant plus de dix ans que le séisme a eu lieu et les efforts de reconstruction dans cette région se poursuivent (voir Zoom Japon n°108, mars 2021). Des villes entières, et les communautés qui les accompagnent, ont progressivement retrouvé une vie presque normale. Certaines sont relocalisées plus à l’intérieur des terres, loin de l’océan. D’autres, comme la ville d’Onagawa, dans la préfecture de Miyagi, ont décidé de construire les nouvelles maisons et les nouveaux bureaux sur une série de plateaux artificiels, d’immenses collines au sommet plat pour la nouvelle ville qui, on l’espère, seront en mesure d’échapper à un nouveau caprice dévastateur de la nature. Au niveau de la mer, pour rappeler la tragédie, on a choisi de laisser une partie d’une maison détruite le long de la nouvelle route et à proximité d’une supérette.
Mais l’un des plus grands projets en cours est la construction d’une digue et d’un barrage contre les vagues, que l’on appelle déjà “la Grande Muraille du Japon”. S’étendant sur 432 km entre la préfecture d’Iwate, au nord, et celle de Fukushima, au sud, et culminant à 15,5 mètres au-dessus du niveau de l’océan, cette construction est devenue un lien concret entre ces préfectures et leurs souvenirs communs de la catastrophe du 11 mars 2011. Bien qu’il doive contribuer à protéger les populations locales contre les menaces futures, le mur coupe grossièrement le paysage, rompant le lien qu’elles ont avec la mer et détruisant le paysage des villages de pêcheurs dans la foulée. Le coût de cet énorme chantier est pour l’instant évalué à environ 12,7 milliards de dollars (10,4 milliards d’euros). Dix ans après la catastrophe, les routes côtières de Miyagi et d’Iwate voient chaque jour une longue procession de camions lourds transportant de la terre, du sable et tout autre matériau pour la construction de cette gigantesque barrière artificielle. Le long de cette côte, chaque fois que vous arrivez au port, vous voyez la même chose, un paysage gris clair en bord de mer. La physionomie du mur n’est pas toujours identique. Parfois haut, parfois bas, parfois constitué d’une grande pente, parfois apparaissant sous la forme d’un énorme mur droit, tous ces éléments ont le même objectif : protéger les gens d’un futur tsunami.
La principale motivation pour la construction de cette immense digue n’est pas seulement liée à l’idée de protéger. Il s’agit également de “gagner quelques précieuses secondes ou minutes en cas de tsunami majeur”, expliquent ses promoteurs. Cette barrière artificielle doit être capable d’arrêter l’eau, mais aussi briser la puissance de la vague et ralentir sa progression. En 2011, certaines personnes auraient pu survivre si elles avaient eu une ou deux minutes de plus.
Une grande majorité des villes côtières (avec le soutien des habitants) ont voté pour la construction du mur. L’une des conditions du plan de reconstruction des maisons dans la région était qu’un mur devait être construit avant d’entamer l’érection des maisons individuelles dans certaines villes. Cependant, certains habitants ont manifesté leur désaccord avec le projet. Ils comprennent que le mur peut les protéger, mais ils craignent que le lien qu’ils entretenaient avec la mer et leur compréhension de ses risques ne soient remis en cause, peut-être de façon permanente. Ils redoutent qu’en cas de nouveau tremblement de terre majeur, ils ne soient pas en mesure de voir les changements de caractère de la mer ou de remarquer l’effet d’assèchement qui annonce un tsunami potentiel. Surtout lorsqu’ils aperçoivent les quelques petites ouvertures implantées sur ce haut mur, ils se demandent si ses concepteurs n’ont pas décidé de se moquer d’eux. “Est-ce une sorte de mauvaise blague cynique qu’on nous a faite ?”, s’interroge l’un d’eux.
Le village d’Akahama, dans le district d’Ôtsuchi dans la préfecture d’Iwate, est l’endroit le plus proche de la mer. Il est tristement célèbre pour avoir vu un bateau s’écraser sur le toit d’un immeuble après avoir été emporté par une vague de 22 mètres de haut. Ce fut l’une des images les plus emblématiques du tsunami de mars 2011. Les habitants insistent sur le fait que les maisons du coin devraient plutôt être déplacées vers des terrains plus élevés. Selon eux, une digue de 14,5 mètres risque non seulement d’être une protection insuffisante contre un autre tsunami de grande ampleur, mais elle va leur cacher également la vue sur l’océan. La plupart des habitants de ce village travaillent dans le secteur de la pêche et craignent d’être privés purement et simplement de leur gagne-pain.
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