L'heure au Japon

Les célèbres pêcheuses de perles ne sont plus aussi nombreuses que par le passé. / Gianni Simone pour Zoom Japon

Fiction : James Bond et les perles

Célèbre pour sa perliculture et ses plongeuses, la cité portuaire de Toba a aussi accueilli l’espion britannique.

Je possédais un mauvais pressentiment sur Toba avant même que le ferry ne pénètre dans sa jolie crique isolée. La cité portuaire (17 494 habitants) est connue pour deux choses : les perles et les espions. L’île aux perles de Mikimoto est ce qui attire la plupart des touristes. Le roi de la perle de culture, mondialement connu, est synonyme d’élégance classique, et les Mikimoto ont construit une ode à leur empire de la bijouterie sur une petite île juste au large de la côte. L’île est reliée au continent par une passerelle en acier blanc et en verre peu traditionnelle, qui ressemble plus à une passerelle d’aéroport qu’à un pont.


Et puis il y a le lien entre Toba et Bond, James Bond. Le cinquième volet de la saga de l’espion britannique, On ne vit que deux fois (You Only Live Twice), a été tourné en grande partie au Japon (voir Zoom Japon n°71, juin 2017) et Toba fut l’un des endroits où il s’arrêta sur son chemin entre Tôkyô et l’île de Kyûshû. A l’époque de la sortie du film, en 1967, les plongeuses de perles de la région étaient déjà devenues une attraction touristique et 007 ne pouvait que s’y rendre. Les ama – comme on appelle ces plongeuses au Japon – et leur lien avec Bond-san ont été la principale raison de ma visite, car je ne suis pas amateur de perles et de bijoux (c’est le domaine de ma femme).
Dans la maison d’hôtes où je logeais, j’ai trouvé un livret de 52 pages en anglais publié par l’association touristique de la ville de Toba, qui répertorie tous les endroits merveilleux de la région. J’ai essayé de trouver quelque chose à faire, mais tout était uniformément peu inspirant. Je suis donc sorti pour me promener. C’est en arrivant sur le front de mer que j’ai appris l’horrible vérité sur Toba : la ville semblait être restée bloquée dans le “bon vieux temps” de l’ère Shôwa (1926-1989), et je ne dis pas ça comme un compliment.
La pièce de résistance de Toba est le Kinpokan, un hôtel qui, j’en suis sûr, fut l’endroit le plus glamour de la ville lorsqu’il a ouvert ses portes dans les années 1960, probablement pour profiter des fans et des journalistes enragés qui suivaient Sean Connery partout où il allait. Par miracle, il existe toujours, bien que ses étages supérieurs ressemblent à un mélange entre un donjon et une ruine industrielle. A côté du Kinpokan, le Tiara Café a eu le bon goût de fermer il y a longtemps. En jetant un coup d’œil par ses fenêtres poussiéreuses, je peux voir un fouillis de tables, de chaises et d’autres objets non identifiés empilés les uns sur les autres.
Nous ne savons pas où 007 a séjourné à son arrivée à Toba, mais il ne semble pas non plus avoir été particulièrement charmé par l’endroit. Parti de la gare de Tôkyô pour sa mission, il a été informé par l’agent Tiger que “nous prendrons l’express pour Gamagôri, sur la côte sud, et l’hydroptère du soir pour traverser la baie d’Ise jusqu’au port de pêche de Toba. Nous y passerons la nuit. Il s’agit d’un voyage lent vers Fukuoka dans le but de vous former et de vous éduquer. Il est nécessaire que je vous familiarise avec les coutumes et le folklore japonais afin que vous fassiez le moins d’erreurs possible.”
A leur arrivée à Toba, Bond en avait assez de son immersion totale dans le mode de vie japonais et, comme l’explique l’auteur Ian Fleming, “il était heureux lorsqu’on le laissait enfin seul dans sa chambre d’une délicatesse exaspérante, avec l’habituelle petite théière, la petite tasse et la petite sucrerie enveloppée dans du papier de riz”.
Peut-être sous l’influence de Bond, j’ai élaboré ma propre mission : profiter gratuitement des attractions touristiques de Mikimoto. Certes le musée Mikimoto et l’Ama Show sont peut-être intéressants, mais je ne suis pas prêt à débourser 1 500 yens pour eux. Je n’entrerai pas dans les détails, mais s’introduire dans l’Île aux Perles a été un jeu d’enfant.
L’île est entièrement consacrée à Mikimoto Kôkichi, le fondateur de l’entreprise. Il est la première personne à avoir produit une perle semi-sphérique de culture et a ensuite obtenu un brevet pour la “méthode d’enveloppement” des perles rondes. Il les décrivait comme des “perles destinées à orner le cou de toutes les femmes du monde”. Je suis sûr que ma femme serait d’accord avec lui.
Le Japon est connu pour produire de magnifiques perles depuis très longtemps. En fait, on trouve des descriptions de perles dans le Nihon Shoki, la plus ancienne histoire écrite du Japon, ainsi que dans le Man’yôshû, le plus ancien livre de poésie du pays. En outre, un chapitre consacré à l’histoire du Japon dans les célèbres Archives des trois royaumes de la Chine mentionne également qu’une des anciennes reines du Japon a envoyé 5 000 perles en Chine.
Mikimoto Kôkichi est né en 1858. Il est le fils aîné d’une famille qui tenait un magasin de nouilles à Toba. C’était un homme d’affaires né, et après avoir découvert les perles – et leur prix élevé – il a commencé à faire des expériences jusqu’à ce que, en 1893, il devienne la première personne au monde à créer des perles de culture. 6 ans plus tard, il ouvrait sa première bijouterie dans le quartier branché de Ginza, à Tôkyô, un site qu’il occupe toujours. Le musée vous apprend tout ce qu’il faut savoir sur les perles et présente même des œuvres d’art étonnantes, comme une réplique à l’échelle de la pagode à cinq étages de Hôryû-ji, un célèbre temple de Nara, fabriquée avec 12 760 perles, et un obi (ceinture) de kimono orné de perles, exposé à Paris en 1937.
La démonstration des ama est courte, rapide et fausse. Une goélette les transporte près du quai de l’île, où elles plongent dans la mer et en ressortent quelques secondes plus tard en brandissant un ormeau dissimulé depuis le début dans les plis de leur combinaison de plongée. “Pour Bond, écrit Ian Fleming dans son roman de 1964, elles semblaient toutes belles dans la douce lumière du soir… les fesses luisantes et musclées, fendues par la corde noire, la puissante lanière autour de la taille avec son chapelet de poids ovales en plomb.” Hélas, les dames que j’ai vues en action étaient entièrement vêtues puisqu’elles portaient des combinaisons blanches intégrales. On aurait dit qu’elles allaient à la potence.
Les ama d’aujourd’hui – du moins celles qui se produisent devant les touristes – ont peut-être été réduites au rang d’attractions de cirque, mais ce sont des femmes fortes et farouchement indépendantes qui, depuis près de deux millénaires, défient les stéréotypes de genre en plongeant pour trouver des perles, des huîtres, des ormeaux et des algues. En raison du déclin de la vie marine et des nouvelles technologies, leur nombre a diminué. En 1956, lorsque l’ethnographe italien Fosco Maraini leur a consacré un livre célèbre, on en comptait près de 17 600 dans tout le pays ; en 2010, il n’en restait plus que 2 174.
Ama mis à part, Toba a un autre problème : sa population diminue rapidement. Au cours des années cinquante et 60, elle a oscillé autour de 30 000 personnes. L’exode apparemment inéluctable des jeunes générations a commencé dans les années quatre-vingt-dix et s’est accéléré au cours des 20 dernières années, la ville a perdu quelque 7 000 résidents. L’une des conséquences de cette hémorragie démographique, associée au vieillissement général du pays, est que l’on trouve des akiya (maisons abandonnées) partout. Le quartier près de ma maison d’hôtes, par exemple, était assez vieux et délabré, un peu comme le quartier du port de Shimizu. À part quelques maisons modernes, le style dominant était l’habituel “traditionnel-pratique” : façade en bois à l’ancienne et côtés en tôle ondulée. Et beauc oup d’akiya, bien sûr, qui, ensemble, forment une sorte de musée architectural en plein air de l’ère Shôwa. C’est une partie de Toba que la plupart des touristes, attirés par l’opalescence nacrée de Mikimoto et les lumières pas si brillantes de la jet set locale, ne voient jamais. Et pourquoi voudraient-ils la voir de toute façon ? Ils ont probablement leur propre ensemble de bâtiments délabrés non loin de chez eux.
Malheureusement, ces maisons n’ont aucune valeur intrinsèque. Peu d’acheteurs souhaitent acquérir une maison qu’ils devront ensuite remettre en état. Les enfants des propriétaires, qui vivent probablement dans une grande ville, la laissent donc en l’état, se délabrant lentement. Certains proposent même leur maison gratuitement ; au moins, ils n’auront pas à payer la taxe foncière ou l’équipe de démolition. J’aime ces bâtiments. Ils sont souvent couverts de lierre et de vignes ; ils ont une histoire et un certain caractère, pas comme ces affreux préfabriqués qui envahissent toutes les banlieues du Japon.
Sur le chemin du retour vers la maison d’hôtes, j’étais encore perdu dans mes pensées lorsque j’ai eu la plus grande des surprises : un petit mémorial en pierre se dressait, tout seul, dans un terrain abandonné, clôturé, couvert de mauvaises herbes et adossé aux habituels murs rouillés. Le panneau bilingue indiquait : lieu de naissance du roi de la perle, Mikimoto Kôkichi.
G. S.

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Vit au Japon depuis 1992 et l'auteur de "Le Guide du Japon Otaku", Gianni est un collaborateur régulier du Japan Times et Vogue Italie. Ses écrits sont également publiés dans les magazines Metropolis et San Francisco Art Quarterly, et sur les sites web de Flash Art et de CNN Travel.