Au cœur de la culture japonaise, cette céréale est aujourd’hui menacée par certains changements d’habitudes.
Le riz et le Japon sont inséparables. Il fait tellement partie intégrante de la vie japonaise qu’il apparaît partout. En effet, certains des aliments dont les visiteurs étrangers ne tarissent pas d’éloges sont faits à base de riz : des sushis aux onigiri (boulettes de riz) vendus dans les supérettes et les magasins spécialisés, sans oublier, bien sûr, les omniprésents o-bentô (boîtes-repas) qui se déclinent en une infinité de variétés et peuvent être achetés dans les supermarchés, les grands magasins et même les gares.
Mais le riz n’est pas seulement un aliment : il est au cœur de la vie et de la culture locales. La collaboration et le partage, par exemple, sont des valeurs très importantes dans la société japonaise, et l’on peut en trouver l’origine dans la façon dont le riz est produit au niveau communautaire. Au cours de l’histoire, des rivières ont été endiguées, leur débit a été modifié pour le ralentir, et des étangs et des canaux d’irrigation ont été construits pour alimenter les rizières. Un système créé par la valorisation de l’eau est la raison pour laquelle des entrées et des sorties d’eau sont prévues dans les rizières, et nombre d’entre elles sont reliées pour que l’eau s’écoule en séquence. Cette attitude de partage est également soulignée lors des matsuri (voir Zoom Japon n°62, juillet 2016), ces fêtes locales qui ont lieu d’abord en été, lorsque les gens prient pour une récolte abondante, puis en automne, cette fois pour remercier les dieux.
Le riz est également un élément central du paysage japonais. Il suffit de quitter les grandes villes pour rencontrer des étendues apparemment infinies de campagne et même des zones suburbaines pleines de rizières soigneusement découpées dont les changements d’aspect et de couleur nous rappellent le changement des saisons. Au printemps, la surface de l’eau brille comme un miroir après la plantation du riz ; en été, les beaux épis de riz poussent rapidement sous le soleil puissant et ondulent dans la brise, telle une mer verdoyante, puis deviennent dorés à l’automne juste avant la récolte ; et tout devient calme en hiver, lorsque les rizières endurent le froid rigoureux tout en accumulant tranquillement de la terre.
Si la culture du riz est devenue populaire au Japon, c’est grâce à son climat idéal (chaud et humide), et au fait que l’eau, contenant beaucoup de minéraux souterrains, devient un nutriment et permet de cultiver les mêmes champs année après année. Depuis qu’elle a été introduite de Chine, il y a 3 000 ans, cette céréale est devenue l’aliment de base dans le pays, assurant la vie de millions de personnes. Les techniques de sa culture se sont rapidement répandues vers l’est, à travers l’Archipel. Comme on a pu l’observer au niveau de la céramique, de Kitakyûshû à la région centrale du Tôkai, on estime que les techniques de culture se sont imposées en 200 à 300 ans environ. À cet égard, on pense que la période Yayoi (800-400 av. J.-C. – 250 apr. J.-C.)a marqué un tournant, le riz ayant remplacé les noix comme aliment de base. La diffusion de la culture du riz a également augmenté le nombre de personnes pouvant être nourries, améliorant par la même occasion le contenu nutritionnel de leur alimentation et leur santé.
De plus, le rendement du riz étant supérieur à celui de toute autre plante cultivée, ceux qui contrôlaient les rizières ont pu acquérir très rapidement richesse et pouvoir. C’est ainsi qu’à partir de la période Kofun (du IIIe siècle au VIIe siècle) on assiste à une centralisation progressive au cours de laquelle le fossé entre les aristocrates et les gens du peuple s’accentue. À cette époque, le riz servait d’impôt sur les rizières. A l’époque de Nara (710-794), le riz blanc a commencé à apparaître sur les tables japonaises. Cependant, il était réservé à l’élite aristocratique. Les gens du peuple, quant à eux, mangeaient du riz glutineux peu poli appelé “riz noir”. Il était parfois mélangé à du millet.
De la période Kamakura (1185-1333) à la période Muromachi (1336-1573), la productivité a augmenté grâce à l’introduction de nouvelles techniques telles que la double culture et l’utilisation de vaches et de chevaux, le développement des installations d’irrigation à l’aide de roues à eau et le développement des engrais. Au milieu de la période Edo (1603-1868), les bouilloires à couvercle épais, qui n’avaient jamais été vues auparavant, se sont répandues, et la manière de cuire le riz de façon plus savoureuse s’est imposée. La quantité d’eau devait être ajustée selon que l’on cuisinait du riz nouveau ou du riz ancien, et la cuisson était terminée jusqu’à ce que le riz ait absorbé toute l’eau. On dit que c’est à cette époque que les gens ont commencé à débattre de la façon de cuire le riz.
A peu près au même moment, l’habitude de prendre trois repas quotidiens s’est imposée, ainsi que le développement d’un régime alimentaire moderne.
En outre, les variétés de riz ont commencé à être améliorées. Le gouvernement Meiji (1868-1912) a modifié la perception de l’impôt sur le riz en un système monétaire et, à partir de 1868, l’élevage à grande échelle a été lancé dans le but d’augmenter le rendement des productions agricoles.
Actuellement, le Koshihikari est le riz le plus distribué au Japon. Il a été mis au point en 1956 et s’est rapidement imposé comme une variété de premier plan car il était d’une qualité et d’un goût excellents et résistait à la maladie la plus grave de l’époque, le “mildiou du riz”. La production a progressé dans diverses régions du pays et, depuis 1979, c’est la variété la plus plantée au Japon. Depuis, les variétés de riz n’ont cessé de s’améliorer, et en 2019, on comptait 500 variétés enregistrées, dont 271 étaient cultivées pour l’alimentation de base.
Malheureusement, il y a aussi un côté sombre à cette histoire : les agriculteurs qui travaillent les rizières grisonnent et sont de moins en moins nombreux. Les parcelles abandonnées et envahies par la végétation sont monnaie courante. En raison de la petite taille de leurs exploitations et de la concurrence, de nombreux agriculteurs n’arrivent pas à joindre les deux bouts. En effet, selon certains commentateurs, l’agriculture japonaise n’a ni argent, ni jeunesse, ni avenir. En 1960 par exemple, la consommation annuelle moyenne était de 118 kilogrammes par personne. Elle n’est aujourd’hui plus que de 53,5 kilogrammes, c’est-à-dire environ la moitié du riz qu’ils consommaient il y a 60 ans.
Tout au long des années d’après-guerre, le gouvernement a pris sur lui de protéger les intérêts des agriculteurs, et les choses n’ont pas changé, notamment face à la menace des importations de riz. Même dans l’accord commercial de 2019 avec les Etats-Unis, les droits de douane et les quotas sur le riz américain importé au Japon fixés au début des années 1990 sont restés en place, annulant les dispositions du TPP, le traité de libre-échange TransPacifique, selon lesquelles le Japon aurait accepté 70 000 tonnes de riz américain par an sans droits de douane. Mais le retrait des Américains du TPP en 2017 a permis d’éviter, pour l’instant, cette situation.
Quel est donc l’avenir de la riziculture au Japon ? Selon un document gouvernemental de 2018, le riz premium, qui se vend à des prix relativement élevés sur le marché et peut augmenter les revenus des agriculteurs, bénéficie d’un soutien promotionnel important de la part des autorités locales. Alors que la concurrence entre les régions cultivant du riz de qualité s’intensifie, le riz utilisé pour l’alimentation animale – qui est subventionné par le gouvernement national – devient rapidement une culture populaire auprès des agriculteurs également.
L’Organisation nationale de recherche sur l’agriculture et l’alimentation concentre désormais ses efforts sur la création de variétés de riz nationales sûres et fiables qui produisent des rendements élevés, possèdent une bonne saveur et sont faciles à cultiver, afin de faire correspondre l’offre et la demande entre les producteurs et le commerce.
Gianni Simone