Dans cette région célèbre pour la qualité de son riz, les habitants veulent perpétuer les traditions.
Quittez les routes touristiques habituelles le long de la côte de la péninsule de Noto, avancez vers les collines situées au milieu d’Oku-Noto, dans la préfecture d’Ishikawa, et vous atteindrez enfin le district de Tôme. Pendant longtemps, il s’agissait d’une simple zone montagneuse isolée, composée de cinq villages entourés de trois grandes rivières. En hiver, toute la région est souvent ensevelie sous 2 mètres de neige. Pourtant, malgré ces conditions de vie difficiles, c’est une région où la nature a été chérie, où l’agriculture et la sylviculture ont prospéré, et où le paysage n’a pas changé depuis les temps anciens. La région d’Iwaido, en particulier, a été désignée par le ministère de l’Environnement comme l’une des 500 zones nationales Satochi Satoyama, importantes pour la conservation de la biodiversité.
Le district de Tôme est alimenté par les ruisseaux aux eaux claires de la Machino, de la Kawarada et de la Yamada, qui sont les principales rivières d’Oku-Noto, où diverses créatures, dont une colonie de lucioles de Genji, y ont trouvé l’environnement idéal pour prospérer sans être dérangées. La forêt vierge de hêtres s’étend sur le mont Hatsubushi à une altitude de 544 mètres, et il a été confirmé qu’elle est habitée par des espèces de libellules telles que l’épiophlebia superstes et les nains écarlates. L’histoire d’Oku-Noto ne date pas d’hier. Son développement est lié à la légende de l’armée Taira dissoute après sa défaite face aux Minamoto. Elle s’est dispersée dans tout le Japon. En 1185, la famille Taira (également connue sous le nom de Heike), qui avait brièvement prospéré en tant que puissance politique au Japon, a été vaincue par les Minamoto (c’est-à-dire les Genji) lors de la bataille maritime finale du Dan-no-ura. 13 survivants ont atteint le district de Tôme. 5 d’entre eux étaient des experts en arts martiaux qui s’adonnaient également à l’agriculture. 3 fondèrent des temples : Gokuraku-ji, Senkô-ji, et Jôraku-ji. Ils étaient dirigés par Tokitada, exilé à Oku-Noto par les Minamoto.
Dans une région montagneuse fermée, la culture du riz était un élément clé, et au XVIIe siècle, un système appelé kokudaka fut conçu par le shogunat Tokugawa afin de déterminer la valeur des terres à des fins fiscales. Cette valeur était exprimée en termes de koku de riz. 1 koku (environ 150 kilogrammes) était généralement considéré comme la quantité de riz pour nourrir une personne pendant un an. A cette époque, on disait que le kokudaka de Noto était d’environ 1 000 koku. En 1670, le seigneur Maeda autorisa les agriculteurs à construire des rizières en terrasses afin d’exploiter le potentiel du terrain. Elles ont survécu jusqu’à aujourd’hui, et par une fraîche après-midi d’août, Shûden Katsuyoshi, un agriculteur local et membre de la coopérative de riz de Tôme, nous a guidés. Il est né et a grandi dans cette région. Il a été témoin de sa lente ouverture au monde extérieur. “Cette route a été construite au milieu des années 1970”, explique-t-il. “Puis l’ouverture de l’aéroport en 2003 a changé la donne. Avant cela, notre village était un cul-de-sac, presque complètement isolé du reste de la péninsule. Les seuls chemins existants à l’époque étaient tellement étroits et accidentés que les voitures ne pouvaient pas passer.”
Nous sommes entourés de rizières et de forêts dans toutes les directions. “Autrefois, les rizières que vous voyez tout autour de nous étaient plus petites. Grâce à la technologie et à l’utilisation d’outils agricoles modernes, nous avons pu étendre progressivement notre activité”, confie-t-il. L’agriculture mise à part, une partie de l’activité de Shûden Katsuyoshi tourne autour du bois de construction. “Il y a encore 30 ans, le bois était une bonne source de revenus, mais aujourd’hui, les prix ont chuté et cela ne vaut plus guère la peine de faire des efforts.” Il admet que pendant de nombreuses années, il n’était qu’un agriculteur à temps partiel. “J’étais un salarié qui ne travaillait dans les champs que le week-end. Ce n’est qu’après avoir pris ma retraite que j’ai repris l’agriculture comme activité à plein temps. De toute façon, mon champ est relativement petit.”
Le district de Tôme a une superficie agricole totale de 60 hectares qui produit annuellement entre 180 et 200 tonnes de riz. Cependant, tous les champs que nous croisons ne sont pas utilisés pour la culture du riz. Certains d’entre eux semblent même avoir été abandonnés et laissés à l’abandon. “Comme vous pouvez l’imaginer, ce sont des champs qui demandent beaucoup d’entretien. L’agriculture elle-même est désormais beaucoup plus facile grâce à la technologie, mais il y a encore des tâches que l’on doit faire à l’ancienne, comme faucher les berges des terrasses et gérer le réseau d’irrigation”, note le riziculteur.
Interrogé sur les principaux changements dont il a été témoin dans la région, Shûden Katsuyoshi répond que tout d’abord, les rizières sont plus grandes. “De plus, beaucoup de gens ne sont plus aussi intéressés qu’avant à garder un champ d’apparence propre. Tant qu’ils peuvent produire leur part de riz, l’aspect de la rizière importe peu. On peut généralement deviner l’âge des propriétaires en fonction de l’aspect de leurs champs. Les jeunes générations trouvent toujours une certaine fierté à rendre leurs propres champs propres”, affirme-t-il. En nous promenant en voiture, nous admirons de nombreux exemples de maisons traditionnelles construites dans le style kayabuki (maison à toit de chaume). Malheureusement, la plupart d’entre elles sont aujourd’hui vides et tombent lentement en ruine. “Le principal problème est le manque de charpentiers capables de faire le travail. De plus, nos enfants ne sont pas intéressés par leur préservation, c’est donc un autre aspect de la culture traditionnelle qui est appelé à disparaître rapidement”, regrette-t-il.
Etant donné que couper, empaqueter et remplacer le chaume est une entreprise longue et coûteuse, la plupart des maisons qui ont encore du chaume sont maintenant recouvertes de panneaux de tôle ondulée pour les empêcher de pourrir. Bien que le chaume ne soit pas visible, il est facile de repérer ces maisons sur les flancs des collines car elles ont des toits épais et hauts.
Un exemple particulièrement étonnant d’architecture de style kayabuki est une résidence tentaculaire dont la version actuelle date du début du XVIIIe siècle, mais le bâtiment d’origine était encore plus ancien. Le propriétaire explique qu’à l’origine, le bâtiment principal avait un plafond encore plus haut, mais qu’ils ont dû remplacer l’ancien toit par un toit moderne. Pourtant, ils ont réussi à l’inscrire sur la liste des biens culturels d’importance nationale. La pièce de résistance du lieu est un magnifique jardin qui n’aurait pas sa place dans un temple ou un sanctuaire. Le bâtiment lui-même est une énorme structure remplie de pièces et d’un grand espace cuisine où les clients peuvent déguster des nouilles soba et d’autres plats. Malheureusement, il succombe lentement aux aléas du temps et a besoin de l’aide financière de l’Etat pour être sauvé.
Au milieu du déclin général de la région, il y a environ 9 ans, Shûden Katsuyoshi et d’autres agriculteurs ont eu l’idée de créer une coopérative qui commercialiserait le riz de Tôme sous une seule marque. “La coopérative, appelée Tôme Yume o Kataru-kai (littéralement “Association pour évoquer nos rêves”), est notre stratégie pour mettre fin au dépeuplement et à la décadence de la région, et pour soutenir l’activité agricole de ses membres”, explique-t-il. “J’ai maintenant 68 ans, et l’âge moyen de la population agricole est d’environ 60 ans. Si nous voulons accomplir quelque chose, nous devons a
gir rapidement. Tôme dispose d’une nature riche et nous voulons continuer à protéger notre environnement naturel et la vie basée sur la riziculture en établissant des liens avec les résidents locaux et les personnes extérieures grâce à une riziculture de qualité.”
“La qualité de l’eau est très importante pour la culture d’un riz de haute qualité, et notre coopérative est fière d’utiliser une eau propre et non polluée provenant directement des collines environnantes. Quand j’étais enfant, nous avions l’habitude de boire cette eau”, assure Shûden Katsuyoshi. “Maintenant, il n’est plus recommandé de la boire en raison de la présence de sangliers.”
Après avoir été reconnus comme une zone importante de Satochi Satoyama, les agriculteurs et les militants de Tôme ont déployé leurs efforts pour préserver la biodiversité du district à travers un certain nombre de mesures de protection. “Une visite à Tôme est une occasion unique d’admirer différentes sortes de fleurs, d’oiseaux et d’insectes dans les champs, les ruisseaux et les forêts. Vous pouvez difficilement trouver de tels endroits dans un environnement urbain. Ils ont disparu depuis longtemps. Nous voulons, par tous les moyens possibles, faire reconnaître l’importance d’un tel espace naturel, partager sa valeur, le préserver et le transmettre à la prochaine génération. J’espère que de plus en plus de personnes saisiront l’occasion de visiter Tôme et de découvrir un espace aussi unique”, déclare l’agriculteur.
Bien que le district soit relativement petit et que la coopérative commercialise tout son riz sous une seule marque, le goût du riz varie beaucoup en fonction de l’emplacement des champs, de leur exposition au soleil, etc. Ainsi, lorsque la coopérative reçoit une commande d’un nouveau client, elle envoie le riz d’un de ses membres au hasard, selon un système de rotation. Si le client aime ce riz en particulier, il peut, à partir de la deuxième commande, continuer à recevoir le riz issu de ce producteur en particulier.
“Au-delà des différences, de manière générale, le district de Tôme jouit d’une position enviable qui favorise la production d’un riz délicieux, grâce au climat propre à cette région montagneuse et à la grande différence de température entre le jour et la nuit. Le riz produit de l’amidon par photosynthèse pendant la journée et le stocke dans les épis la nuit. Si la température nocturne reste trop élevée, tout l’amidon est consommé, mais à Noto, la forte différence de température entre le jour et la nuit contribue à conserver l’amidon stocké, ce qui donne un riz savoureux et collant, à la texture et à la douceur particulières”, explique avec assurance Shûden Katsuyoshi.
Afin de fidéliser les clients, la coopérative a mis en place plusieurs activités pour qu’ils se sentent directement impliqués dans la communauté d’Oku-Noto. Ceux qui peuvent acheter leur riz sans interruption tout au long de l’année, par exemple, sont certifiés comme résidents spéciaux de la région de Tôme et bénéficient d’avantages particuliers, l’objectif étant de les amener à penser que le district est leur deuxième patrie. Voici le contenu de leur opération :
- La coopérative envoie des plantes sauvages et d’autres produits spéciaux à deux reprises, au printemps et à la fin de l’année.
- Ceux qui ont la possibilité de visiter Noto sont accueillis par des guides et des conteurs locaux qui leur expliquent les caractéristiques naturelles, la tradition et la culture de la région.
- On leur présente également les hébergements, les restaurants, etc. des environs en rapport avec la culture locale.
- Ceux qui le souhaitent peuvent également faire l’expérience de la culture du riz, en participant aux travaux agricoles saisonniers.
- En hiver, lorsque toute la région est recouverte de neige, les clients sont guidés dans les zones montagneuses lors de sorties en ski nordique.
- Il est également possible de cueillir des myrtilles ou des fraises dans les exploitations affiliées.
La prochaine étape de la coopérative pour générer de l’argent et faire de Tôme une zone financièrement autonome consiste à attirer les touristes à Oku-Noto. “Nous prévoyons d’ouvrir une maison d’hôtes. Un résident local est prêt à nous donner gratuitement une maison abandonnée, et nous allons la rénover avec l’aide d’une subvention nationale”, affirme le riziculteur. Des bâtiments dont la valeur culturelle est reconnue sont également disséminés dans la région, notamment ceux liés à la légende dite du singe démon selon laquelle un vieux singe, vivant dans une grande grotte qui s’étendait jusqu’à la mer de Sosogi, est apparu un jour dans le village. Il y a tué une jeune fille et dévasté les rizières, si bien que les villageois l’ont baptisé le “singe démon”. D’après la légende, l’empereur Sui’nin, le 11e empereur selon la généalogie traditionnelle, aurait eu vent de l’histoire et envoya un grand nombre de dieux pour l’empêcher de nuire à nouveau. On dit que le nom de Tôme (littéralement “coup dans l’œil”) viendrait de la façon dont le démon a été vaincu.
Finalement, les villageois ont construit un sanctuaire pour calmer l’esprit du singe démon. Le sanctuaire d’Iwaido se dresse encore aujourd’hui près d’une rivière pittoresque dotée d’un pont en bois traditionnel. Ce sanctuaire possède une biographie du singe démon écrite en 1845 à la fin de la période Edo (1603-1868).
La coopérative s’est également mobilisée pour réunir des fonds et ouvrir le musée de la riziculture et de la sylviculture de Satoyama, où les gens (en particulier les jeunes) peuvent se familiariser avec la vie d’autrefois. L’endroit regorge d’outils, de vêtements et de documents agricoles anciens fascinants et, une fois bien organisé, il offrira une introduction inestimable à la vie traditionnelle dans la campagne japonaise.
Quant à l’avenir du tourisme à Oku-Noto, les habitants misent sur un nouveau projet, la Route du Dragon, une nouvelle route touristique qui traverse les préfectures d’Aichi, de Gifu, de Toyama et d’Ishikawa, du sud au nord, dans la région de Chûbu, au cœur de l’île principale de Honshû. Elle a été baptisée “Route du Dragon” car la forme de la région ressemble à un dragon mystique qui se lève, la péninsule de Noto étant assimilée à sa tête. Les innombrables attraits de cette région comprennent, selon le site Internet consacré au projet, “un large éventail de cultures traditionnelles et historiques, de magnifiques paysages naturels qui changent d’une saison à l’autre, une abondance de délices de la terre et de la mer, et des sources chaudes apaisantes qui soulagent la fatigue de la vie quotidienne.” Tout un programme auquel Shûden Katsuyoshi et ses collègues espèrent que les futurs visiteurs souscriront. G. S.