Même si les Japonais consomment moins de riz que par le passé, il reste omniprésent dans leur vie quotidienne.
En Occident, le “riz” est depuis longtemps un concept assez simple. Les produits à base de riz se limitent pour ainsi dire au riz lui-même, à moins d’avoir l’audace d’essayer des aliments exotiques comme les nouilles de riz, et les ustensiles que nous utilisons pour le cuisiner sont à peu près les mêmes que ceux que nous utilisons pour préparer des pâtes ou un gâteau. Au Japon, cependant, le riz englobe une vaste gamme d’aliments et d’ustensiles conçus expressément pour cuisiner et manger cet aliment de base.
Pour commencer, les snacks préférés de beaucoup de gens sont les senbei qui sont fabriqués en pétrissant de la farine de riz (ou de blé, dans certains cas) et en la faisant cuire sur une plaque de fer. Ils se présentent sous différentes formes et variétés, bien que le senbei classique ait une forme fine et ronde. On distingue ceux qui sont cuits au four et ceux qui sont frits. La plupart d’entre eux sont assaisonnés de sauce soja et de sel. Des aliments ressemblant à des biscuits faits à partir de purée de châtaignes et de pommes de terre ont été découverts dans les vestiges d’un site archéologique de l’époque Jômon (entre 14 000 et 300 avant J.-C.), mais selon la croyance populaire, les senbei modernes ont été créés pour la première fois par une vieille femme qui tenait un magasin de boulettes à Sôka-juku (l’actuelle ville de Sôka, préfecture de Saitama). Sôka-juku était autrefois la deuxième étape sur le Nikkô Kaidô, l’une des cinq routes partant d’Edo, et les senbei seraient rapidement devenus populaires auprès des voyageurs avant de se répandre dans tout le pays.
Comme le pain en Europe, les senbei diffèrent en fonction de leur zone de production. Par exemple, il y a les kawara senbei, appelés ainsi parce qu’ils sont aussi durs qu’une tuile de toit (kawara en japonais) ; les senbei au gingembre ou encore les célèbres shika senbei fabriqués pour nourrir les cerfs qui peuplent Tôdai-ji, le grand temple de Nara.
Toutefois, le vaste univers des sucreries à base de riz, comme les dango et les manjû, est encore plus fascinant. Les dango sont des boulettes faites avec de la farine de riz dont l’uruchi ou le riz gluant. Ils sont généralement de forme ronde et servis en brochette. La plupart d’entre eux sont sucrés par l’ajout de sucre, mais certains sont assaisonnés de sauce soja. Les dango les plus populaires sont l’andango auquel on ajoute de l’anko (pâte de haricots rouges sucrée), le dango mitarashi recouvert d’un sirop fait de sauce soja, de sucre et d’amidon, et le goma dango (recouvert de pâte de sésame).
Le manjû est une confiserie cuite à la vapeur, fabriquée en enveloppant des ingrédients comme la pâte de haricots rouges sucrée ou la confiture de marrons dans une pâte faite de farine, de poudre de riz, de kudzu et de sarrasin. Les manjû japonais viennent de Chine où ils sont appelés “manto”. Ils ont été introduits au Japon en 1349 par Ryûsan Tokuken, un prêtre bouddhiste appartenant à l’école Rinzai, à son retour de Chine. Son disciple, Rin Jôin (Lin Jingyin), a adapté la recette originale en remplaçant la viande par des haricots azuki afin qu’ils puissent être servis comme des sucreries bouddhistes zen. Il s’est ensuite installé près du sanctuaire Kangô, à Nara, et a ouvert un magasin appelé Shiose.
Si les friandises traditionnelles japonaises ne sont consommées qu’à certaines occasions dès leur achat, on peut être sûr de trouver des ustensiles pour cuisiner et manger du riz dans chaque foyer japonais. Commençons par un objet que de nombreux Occidentaux (y compris les lecteurs de ce magazine) ont utilisé au moins une fois dans leur vie : les baguettes. Comme de nombreux autres objets et idées, elles ont été importées au Japon depuis la Chine. Selon l’historien et écrivain de la dynastie Han, Sima Qian (145-86 av. J.-C.), le roi Zhou était le premier à fabriquer des baguettes en ivoire au XIe siècle avant J.-C. Au Japon, les baguettes typiques utilisées pour les repas sont en bois recouvert de laque ou de résine synthétique. Les baguettes enduites de laque ont un lustre unique et sont utilisées pour les cérémonies. D’autre part, certaines baguettes ne sont pas recouvertes de laque pour faire ressortir la beauté du bois lui-même. Il existe également des baguettes en bambou, tandis que le plastique est utilisé pour les enfants. On peut également trouver des baguettes en plastique dans certains restaurants, bien que de nombreux établissements préfèrent les baguettes jetables en bois.
Quel que soit le matériau, de nombreuses baguettes japonaises ont un bout effilé à une extrémité pour faciliter la séparation des arêtes de la chair lorsqu’on mange du poisson. Les compagnons naturels des baguettes sont les bols, qu’ils soient en céramique, en porcelaine ou en laque.
Les baguettes et les bols en céramique sont d’ailleurs les éléments les plus “personnels” de la vaisselle japonaise, car chaque membre de la famille possède son propre ensemble qui peut différer des autres par sa taille et son style (par exemple, un bol avec un motif de sakura pour la mère, un bol uni pour le père et un joli bol avec un motif de chat ou un personnage de manga pour les enfants).
La laque n’est pas utilisée aussi souvent que la céramique, mais elle constitue une pièce de vaisselle très élégante. En général, le processus de laquage peut être divisé en quatre étapes. Tout d’abord, un bol de base est fabriqué à partir de bois dur provenant d’arbres tels que les zelkovas. À ce stade, il est très important de faire sécher le bois brut dans les bonnes conditions pour obtenir un objet sans distorsion. Il n’est pas exagéré de dire que la résistance de la laque et la réalisation de la couche de finition dépendent de la qualité de ce travail. Ensuite, le bol passe par un processus de peinture allant de la sous-couche à la couche intermédiaire jusqu’à la couche de finition. Une certaine humidité est nécessaire pour que la laque appliquée sèche. En fait, il est plus correct de définir ce processus comme une phase de “durcissement” plutôt que de séchage.
La plupart des objets en laque ne sont généralement finis que par une couche de finition, mais des images et des motifs en or et en argent peuvent également être ajoutés. Au Japon, la péninsule de Noto est une région particulièrement célèbre pour ses objets en laque (voir pp. 22-25).
Un autre outil en bois commun que l’on trouve dans toutes les cuisines japonaises est le shamoji, une grande cuillère plate utilisée pour remuer et servir le riz, et pour mélanger le vinaigre au riz pour les sushis. Traditionnellement, les shamoji étaient fabriqués en bambou, en bois ou en laque, mais de nos jours, ils sont généralement fabriqués en résine synthétique car ils sont plus durables, plus faciles à utiliser et à laver. Le riz cuit japonais étant collant, les grains de riz ont tendance à adhérer au shamoji, ce qui rend le nettoyage plus difficile. Afin d’éviter que le riz ne colle, il est nécessaire de le tremper fréquemment dans l’eau. Cependant, de nombreux shamoji en plastique sont dotés d’un grand nombre de petites protubérances sur la surface de la spatule afin de minimiser la surface de contact avec les grains de riz. Le shamoji, dont on dit qu’il a été créé par un moine à Miyajima, dans la préfecture de Hiroshima (voir Zoom Japon n°17, janvier 2012), est traditionnellement considéré comme un symbole de l’unité familiale. Il était transmis d’une génération à l’autre pour symboliser les devoirs de la femme au niveau de la préparation des repas et de la gestion de sa famille.
Le dernier article que nous allons aborder est peut-être le plus important, car son invention a largement contribué à changer les habitudes et le mode de vie des gens. Il s’agit du suihanki ou cuiseur de riz électrique.
Pendant des siècles, les Japonaises ont fait cuire le riz à la vapeur dans un mushikamado, une sorte de casserole fabriquée à partir de divers matériaux. Le problème était que cuisiner avec lui se révélait compliqué : le temps nécessaire à la cuisson du riz dépendait de la quantité de riz, de la capacité de la source de chaleur, de la température de l’air extérieur et de la pression atmosphérique, de sorte que la ménagère ne pouvait guère quitter la marmite des yeux. Comme autrefois les Japonais mangeaient du riz tous les jours, c’était une corvée inévitable.
Les recherches sur le développement de cuiseurs à riz permettant de gagner du temps remontent à avant la Seconde Guerre mondiale. Cependant, la production d’un outil capable de cuire du riz de haute qualité était une proposition délicate car il est difficile pour une machine d’effectuer un contrôle détaillé de la chaleur comme le font les humains. Finalement, un cuiseur de riz électrique a été créé par Tôkyô Shibaura Electric (aujourd’hui Toshiba) en 1955 et officiellement mis sur le marché un an plus tard pour 3 200 yens (à une époque où le salaire mensuel moyen des salariés du secteur privé était d’environ 13 000 yens). Bien que les suihanki haut de gamme demeurent très chers, le modèle moyen est désormais à la portée de tous. Un autocuiseur de riz utilise la technologie bimétallique et dispose d’une fonction qui coupe automatiquement l’alimentation lorsque le riz est prêt. Grâce à cela, il n’est pas nécessaire de garder un œil sur le riz pendant la cuisson. En outre, tous les suihanki sont désormais équipés d’une minuterie qui le met en route quand vous le souhaitez. De nos jours, tout le monde règle l’heure le soir avant d’aller se coucher et le matin, au réveil, le riz est prêt à être consommé au petit-déjeuner ou à être ajouté dans les boîtes à bentô que beaucoup de gens emportent à l’école ou au travail.
Les premiers modèles n’avaient pas de fonction de maintien de la chaleur, de sorte que le riz cuit refroidissait assez rapidement. Cependant, une autre entreprise d’électroménager, Zojirushi, est venue à la rescousse en lançant en 1965 un cuiseur électronique doté d’une fonction de maintien de la chaleur. Ce produit a connu un grand succès, se vendant à 2 millions d’exemplaires par an. Les cuiseurs à riz électriques modernes mettent entre 30 minutes et un peu moins d’une heure pour cuire le riz à la vapeur, selon la quantité et le type de riz cuisiné (vous pouvez préparer différents types de riz, y compris du riz brun, qui prend beaucoup plus de temps).
Quant au kamado traditionnel, à la fin du XXe siècle, il n’était plus utilisé dans la vie quotidienne. Cependant, on peut encore en trouver dans certains restaurants de style japonais qui l’utilisent pour cuisiner. On en stocke aussi dans des lieux publics comme des écoles et des parcs désignés comme zones d’évacuation en cas de catastrophe. Dans de telles circonstances, il est nécessaire de fournir des repas à un grand nombre de personnes évacuées, et un kamado s’avère pratique lorsque l’électricité et le gaz sont coupés.
En parlant de catastrophes et d’économies d’énergie, après le séisme du 11 mars 2011 dans le nord-est du pays et la catastrophe de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, les gens ont pris conscience de la nécessité d’économiser l’électricité. De nombreuses entreprises ont réagi en mettant sur le marché des autocuiseurs à gaz. Les ventes ont été plus fortes que celles escomptées initialement. De plus, selon certaines personnes, le riz cuit dans ces appareils a meilleur goût car les autocuiseurs à gaz ont une puissance thermique plus élevée. En outre, les cuiseurs à riz pour four à micro-ondes qui peuvent cuire du riz même en petites quantités semblent être populaires auprès du nombre croissant de ménages composés d’une seule personne.
Jean Derome