La littérature constitue un excellent moyen de plonger dans la société nippone. Les écrivains nous le confirment.
Tandis qu’on célèbre le 150e anniversaire de la naissance de Natsume Sôseki (1867-1916), celui que le regretté Jean-Jacques Origas présente comme “un veilleur”, il apparaît clairement que la littérature japonaise que l’on élargit pour les besoins de la cause au manga constitue encore un espace où l’on peut prendre la mesure des changements en cours dans la société nippone. Au moment où le pays se remet difficilement des événements tragiques du 11 mars 2011 dont certaines blessures peinent à se refermer et où il doit faire face à des bouleversements démographiques, économiques et géopolitiques, il nous semblait intéressant de nous tourner vers les écrivains pour qu’ils nous donnent, au travers du regard qu’ils portent sur leur propre travail, leur sentiment sur leur pays. Certains d’entre eux ont déjà été traduits, d’autres non, mais chacun bénéficie d’une reconnaissance auprès des lecteurs qui apprécient justement leur vision de la société.
Nous aurions aimé, bien sûr, pouvoir vous offrir un entretien avec Murakami Haruki dont les prises de parole, rares, sont souvent synonymes d’une réflexion profonde sur son pays. Dans son dernier roman paru fin février dans l’archipel, l’auteur de 1Q84 revient notamment sur le délicat sujet de l’histoire qui suscite tellement de polémiques entre le Japon et ses voisins chinois et coréens. En quelques lignes, il rappelle la responsabilité de l’armée impériale dans le sac de Nankin en décembre 1937, ce qui lui a valu les foudres de quelques nationalistes. Mais peu lui chaut, car il a conscience de l’importance de ce sujet pour l’avenir même du Japon. Mais celui que l’on présente comme un futur prix Nobel de littérature s’exprime peu et quand il le fait, il choisit, c’est bien normal, des titres plus prestigieux que le nôtre.
Mais il existe d’autres auteurs tout aussi intéressants à nos yeux et que nous avons sollicités pour ce dossier. Notre idée était de découvrir à la fois leur œuvre et leur façon de travailler de manière à dresser un portrait du Japon actuel. Les réponses qu’ils nous ont apportées permettent de mettre en évidence certaines problématiques importantes.
A l’instar d’un Natsume Sôseki, on comprend que le présent les fascine, mais qu’ils n’en sont pas prisonniers. Ils prennent assez de distance avec lui pour nous en offrir une lecture plus claire, qui parfois peut effrayer. Le Japon ne manque pas de défis à relever. Parmi eux, la thématique démographique occupe une place prédominante. Au-delà du vieillissement accéléré qui va prendre de l’ampleur avec, en 2065, près de 40 % de la population âgée de plus de 65 ans, se pose la question des rapports amoureux qui semblent s’évanouir dans l’archipel. Bon nombre d’auteurs que nous avons rencontrés s’intéressent de près à ce sujet, conscients de son importance pour la survie même du Japon en tant que nation. Il est intéressant de noter qu’ils s’intéressent dans leur majorité à ce qui se passe en dehors de l’archipel comme Natsume Sôseki. Ce dernier notait, dans Gendai Nihon no kaika [L’ouverture du Japon moderne, 1911, inédit en français], que les transformations sociales du pays furent toutes inspirées de l’extérieur plutôt que de l’intérieur, qu’elles étaient par conséquent superficielles. Un siècle plus tard, cette observation reste valable.
Odaira Namihei