Pas moins de 32 nationalités sont représentées à Ishinomaki. Une chance pour la ville si elle sait en tirer parti.
Après le séisme, le slogan “s’aider soi-même” s’était très largement répandu afin que chacun soit en mesure de protéger sa propre existence. En revanche, l’idée d’“aider les autres”, en particulier les personnes fragiles n’ayant pas les moyens de se protéger, n’a pas réussi à prendre racine et cela reste un problème dans la région. Lorsqu’on évoque des personnes fragiles, on pense en particulier aux personnes âgées, aux enfants et aux handicapés. Mais cette notion concerne aussi les femmes enceintes et également les personnes d’origine étrangère qui, du fait des difficultés linguistiques et d’une culture différente, peuvent se retrouver en difficultés pour affronter un événement aussi exceptionnel que ceux vécus il y a cinq ans. En janvier 2016, Ishinomaki comptait 924 ressortissants étrangers originaires de 32 pays différents comme la Chine, les Philippines ou encore la Corée du Sud. Ce chiffre augmente chaque année. Dans notre région sinistrée, il est donc impératif, en prévision de catastrophes, de concevoir un environnement permettant de surmonter les différences linguistiques de chacun.
“Tsunami” : Lianet a entendu ce mot pour la première fois de sa vie. D’origine philippine et résidente au Japon depuis 23 ans, Mme Takahashi Lianet vit à Ishinomaki depuis 15 ans, après s’être mariée et être devenue mère de plusieurs enfants. Bien que maîtrisant le japonais et travaillant comme assistante linguistique dans des écoles, le terme “tsunami” lui était totalement inconnu avant le séisme de 11 mars 2011.
Immédiatement après le tremblement de terre, elle s’était empressée d’aller chercher ses enfants à la crèche et à l’école primaire, sans tenir compte de ce que son beau-père lui avait conseillé de ne pas faire en la prévenant du danger. Heureusement, la déferlante n’a pas atteint les écoles ni leur maison et toute la famille a eu la vie sauve. Elle a encore du mal à imaginer ce qui aurait pu se passer “si jamais le tsunami était arrivé jusque chez nous”. “Dans mon pays, on n’a pas l’habitude de fuir et de grimper sur les hauteurs”, ajoute-t-elle.
Avant le séisme, Lianet s’était bien adaptée à la vie japonaise. Elle avait le contact facile avec les gens : aidant les personnes âgées à sortir leur poubelle et bavardant facilement avec ses voisins. Une attitude liée à son caractère très ouvert. Dans les jours qui ont suivi le séisme, un jour où elle se rendait au supermarché, une voisine est venue vers elle et lui a dit : “Lianet, je sais que vous avez un bébé. Tenez, je vous ai gardé du lait pour lui”. Un geste qu’elle a beaucoup apprécié qui souligne, selon elle, l’importance de la communication dans la vie quotidienne. Elle se considère comme “une personne qui va de l’avant” avant d’ajouter, avec le sourire qui la caractérise, que “bien sûr, je suis triste. Mais il faut vivre gaiement à la place des gens décédés.”
Avant la catastrophe, Ishinomaki disposait déjà de l’association Kokusai Saakuru Yûkô 21 (Cercle des amitiés internationales 21) dont le rôle principal consistait à favoriser les échanges culturels et à offrir des cours de japonais pour les étrangers. Depuis 2015, dans le but de soutenir une politique de la ville pour une cohabitation entre les différentes cultures et afin d’aider les communautés étrangères, on a mis sur pied le “Japanese Juku” qui propose une initiation plus générale à la culture japonaise.
Lianet est satisfaite de “cet environnement très favorable”, mais elle se demande “comment développer davantage les liens parmi les étrangers, entre ceux qui participent spontanément à ces activités et ceux qui ne le font pas”. Lors du séisme, elle avait été surprise de voir un nombre considérable de Philippins résidant à Ishinomaki venir trouver refuge dans l’église de la ville. Un étonnement qui reflétait la faiblesse des rapports entre compatriotes mêmes. Ayant pris conscience de l’importance des liens au moment du séisme, elle a souhaité créer un lieu “pour que les étrangers et les Japonais puissent davantage échanger. L’occasion pour les Japonais de mieux appréhender les cultures étrangères.”
Il est désormais important d’aider les étrangers qui viennent d’arriver au Japon, y compris les voyageurs étrangers. Pour Lianet, Il faudrait traduire les documents relatifs à la prévention des catastrophes, car “les mots comme “hinanjo” (centre d’évacuation) ou “shienbusshi” (fournitures de secours) sont très difficiles à comprendre pour les étrangers”.
Si les ressortissants étrangers se trouvent dans des situations difficiles lors de catastrophes à cause la langue et de leur culture, ils pourraient constituer une importante ressource humaine pour promouvoir la prévention des catastrophes auprès d’autres étrangers.
Lianet parle anglais, japonais, tagalog et espagnol. Doit-on la considérer comme une personne en position de faiblesse dans la société ? Alors que le monde entier regarde la ville d’Ishinomaki en pleine reconstruction, les étrangers parlant plusieurs langues représentent une richesse pour notre région. Lianet a aussi un rêve, celui de “mieux faire connaître, avec fierté, au monde son second pays natal”.
Ômi Shun
Nous avons entamé depuis plusieurs mois la publication d’une série d’articles rédigés par l’équipe de l’Ishinomaki Hibi Shimbun dans le but d’informer les lecteurs sur la situation dans l’une des villes les plus sinistrées par le séisme du 11 mars 2011. Malgré ses difficultés, ce quotidien local continue à enquêter et à apporter chaque jour son lot d’informations. Si vous voulez le soutenir dans sa tâche, vous pouvez vous abonner à sa version électronique pour 1 000 yens (moins de 7 euros) par mois :
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