Le scantrad est une pratique aussi vieille qu’Internet : des amateurs de manga, qui lisent le japonais et savent écrire en français, scannent les séries à peine sorties dans les magazines de prépublication au Japon et les traduisent le plus rapidement possible pour les mettre en ligne. Ceux qui mettent en ligne ces traductions se passent de toute autorisation des auteurs ou de leurs ayant-droits, ce qui suffit à rendre cette pratique illégale.
Le phénomène touche évidemment surtout les séries les plus populaires. Celles qui s’adressent à un public plus pointu échappent au phénomène. Je suis allé voir l’un de ces sites et j’ai pris le temps de comparer avec les originaux japonais. Honnêtement, celui ou celle qui avait fait cette traduction n’était pas mauvais. On pouvait lui reconnaître une compréhension fine des nuances et de l’humour, et un rendu percutant et économique en français. Le problème, c’est que dès la case suivante, si le contenu lui posait problème, on sentait la flemme de faire une vérification et des erreurs de débutant apparaissaient tout à coup, rendant le texte incompréhensible . Bref, ce n’était ni fait ni à faire. Le problème n’était pas le niveau de japonais ou de français du traducteur, c’était sa paresse à faire le travail comme il faut. Sans doute parce qu’il voulait être le premier à le mettre en ligne et donc ne voulait pas perdre de temps. Oui, mais alors, pourquoi n’avait-il pas corrigé ensuite, puisque, justement, l’avantage d’Internet par rapport à la version papier, c’est de permettre des corrections après la publication ?
Le fait d’être plus rapide que les éditeurs commerciaux à mettre un nouveau chapitre à la disposition du public a toujours été le principal argument des sites de scantrad. Les éditeurs ont cherché une parade efficace. Ils l’ont peut-être trouvée avec la traduction simultanée, ou “simultrad” : les séries les plus attendues sont ainsi publiées, chapitre par chapitre, en téléchargement, le jour-même de leur prépublication dans les magazines au Japon, donc avant même les scantrads. Un énorme travail de logistique, pour travailler en direct avec le Japon, puisque la traduction est faite avant même que l’original soit imprimé. Mais traduire un chapitre de 20 pages en une nuit, ce n’est pas impossible pour un bon traducteur, si la transmission des scans, puis le “lettrage” (mise en bulle de la traduction) suivent.
Cette fois, entre une offre légale à coût très modique, et une offre illégale de mauvaise qualité et bourrée de pub, les fans ne devraient plus hésiter malgré l’argument des scantraducteurs selon lequel “leur service est gratuit à la différence des éditeurs commerciaux qui ne pensent qu’au profit”. Il faut rappeler que les pages de scantrad fourmillent de bannières, la plupart pour des sites pornos. Pika propose L’Attaque des Titans à 0,99 € le chapitre de 50 pages, Kazé, Platinum End au même tarif tandis que Kana offre Naruto Gaiden à 0,49 € et Boruto à 0,99 € le chapitre.
Quant à la parution en volume papier, elle se fait au même rythme qu’avant, avec une couverture, un mot de l’auteur, les bonus habituels, et une traduction relue à tête reposée. Comme au Japon, les chapitres originaux sont toujours corrigés et améliorés entre la prépublication dans les magazines et l’édition en volume. Alors que les scantrads ne corrigent jamais leur travail, preuve que leur discours de service à la communauté des fans est faux.
P. H.
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