Dans un milieu très masculin, cette ancienne secrétaire a réussi à s’imposer et à perpétuer une tradition ancestrale.
Sawaki Mariko enfile sa jupe de paille, attache ses cheveux noirs et se dirige vers la rivière d’Uji. Là, derrière des grilles métalliques et odorantes, quatorze cormorans l’attendent. Au même moment, sur les berges, les premiers touristes prennent place à bord de sept barques.
Le temps d’une nuit, sous l’œil ébahi des curieux, Mariko, 42 ans, redonne vie à une tradition ancestrale, vieille de 1 300 ans. Les plumes noires, le regard fier, les cormorans y jouent un rôle essentiel. Ce sont eux, qui avec leur bec, vont s’emparer des petites truites. Relié au pêcheur par des cordes, l’oiseau est alors remonté à bord de la barque pour dégorger. Un anneau autour de son cou l’empêche d’avaler le produit de sa pêche. Une chorégraphie bien huilée, mais qui peut laisser de nombreuses blessures. D’un air amusé, Mariko désigne ses avant-bras couverts de griffures et de cicatrices.
L’ancienne noblesse a permis à cette tradition de vivre à travers les siècles et la littérature. Mais peu à peu, des techniques de pêche, plus performantes et moins fatigantes sont apparues. Et cette pratique est devenue de moins en moins rentable.
D’un grincement métallique, Mariko referme les grilles de la cage. A l’intérieur les oiseaux donnent de la voix. Six d’entre eux embarquent avec elle et son maître, Matsuraka Yoshikatsu.
Le sourire aux lèvres, le geste précis, ce pêcheur de 78 ans allume les branches de sapin dans le panier suspendu à la barque. Échappant aux regards des hommes, un héron profite de la situation pour chiper quelques poissons.
D’une voix discrète, comme effacée, Mariko raconte sa vie d’avant. Quand elle était secrétaire dans la région de Kyôto. Mais de CDD en CDD, de sociétés en sociétés, cette vie a fini par l’ennuyer. En 2000, elle a obtenu un poste saisonnier de comptable au sein de l’Office du tourisme d’Uji, “petite ville” de 190 000 âmes qui doit sa célébrité à la culture du thé vert (voir Zoom Japon, n°63, septembre 2016) et vit du tourisme. L’occasion pour cette jeune mariée d’observer de plus près la pêche aux cormorans. Deux ans plus tard, elle a décroché un rendez-vous avec le PDG de la société de bateaux à l’issue duquel elle a décidé de s’embarquer dans une nouvelle vie.
“Je n’ai pas vraiment passé d’entretien d’embauche, se remémore Mariko, les yeux dans ses souvenirs. Le PDG m’a juste montré la cage aux cormorans et m’a demandé d’y entrer. Je pense qu’il voulait tester mon courage et ma volonté.” Depuis, elle alterne entre ses journées dans les locaux de l’Office du tourisme d’Uji et ses nuits sur l’eau.
Sur les berges, des curieux s’attardent. Mariko enjambe la barque, Yoshikatsu prend la rame et ils s’élancent sur la rivière. Plusieurs touristes suivent en marchant le parcours du bateau pour essayer de s’approcher au plus près de cette torche embrasée qui perce désormais l’obscurité. Mariko se courbe pour faire corps avec sa barque et ses cordes. Sa voix désormais assurée se mêle aux cris des oiseaux. Pour l’accompagner, son compagnon frappe la coque du bateau avec un bâton en bois. Tac, tac, tac.
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