Le succès de l’équipe de base-ball en 2016 a galvanisé les foules et confirmé le lien particulier qui l’unit à la ville et sa région.
Impossible de se rendre à Hiroshima et sa région sans que l’on vous parle au moins une fois de l’équipe locale de base-ball des Carp. “Elle est la fierté de la ville”, affirme Matsui Kazumi, le maire de Hiroshima, qui comme la très grande majorité de ses concitoyens et au-delà la soutient avec une ferveur qu’aucune autre équipe ne peut revendiquer. Et si 2016 a été une saison particulière grâce au succès de la formation dans le championnat professionnel, une première depuis 1991, l’engouement qu’elle suscite n’est pas seulement lié à ses résultats. L’équipe est une institution locale, un symbole très fort pour lequel chaque habitant de Hiroshima a un attachement particulier. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler qu’ils étaient plus de 300 000 à avoir envahi, début novembre, les rues de la cité pour célébrer le titre mais aussi et surtout communier avec les joueurs leur amour pour les Carp. “Le rêve de tous est devenu réalité”, a bien résumé Maru Yoshihiro, l’un des héros de la saison dernière. L’influence de l’équipe est telle que la chaîne de supérettes Lawson dont le bleu est la couleur caractéristique a choisi pendant quelques jours de passer au rouge, la couleur des Carp, pour accompagner ce vent de folie qui s’est emparé de la ville. Bien sûr l’intérêt commercial n’est pas absent de cette décision, mais il ne suffit pas à expliquer le besoin de tous les acteurs de la ville de ne plus faire qu’un avec les champions de la batte.
Il existe en effet une relation très spéciale entre les Carp et la population locale. Leur histoire a débuté en 1949, quatre ans après le bombardement atomique, à une époque où personne ne croyait à l’avenir de la cité portuaire. L’idée de créer une équipe de base-ball fut perçue comme la volonté de ne pas plier devant l’adversité et d’entraîner la ville vers de nouveaux rêves. Mais la première saison s’avéra cauchemardesque au point que ses promoteurs envisagèrent d’abandonner. On raconte que des dizaines de supporteurs se rendirent à l’auberge où les dirigeants s’étaient réunis pour décider de son avenir. “N’imaginez pas une seule seconde d’en finir avec elle”, leur lancèrent-ils. Il faut croire que leur détermination fut assez forte puisque l’équipe n’a pas été démantelée. Et malgré des saisons encore difficiles, les fans n’ont jamais abandonné les Carp qui leur ont aussi procuré des moments de bonheur dans lesquels l’ensemble de la population s’est retrouvé. C’est ainsi que s’est forgée cette relation si particulière entre l’équipe et la population locale.
Le choix même du nom de l’équipe est révélateur de cette envie de créer un lien spécial avec la ville où elle a pris racine. Carp est inspiré du nom japonais du château de Hiroshima, Rijô, qui signifie littéralement “château de la carpe”. Dès lors, les habitants et les Carp ne pouvaient que faire bloc dans les bons et les mauvais moments. Et cela ne s’est jamais démenti d’autant que le stade historique de l’équipe, le Shimin kyûjô, se trouvait à proximité du Parc du mémorial de la paix, autre symbole de la ville. D’ailleurs, jusqu’à sa démolition en 2010, chaque année à la veille des commémorations marquant le bombardement atomique, les projecteurs du stade étaient systématiquement allumés pour rappeler le lien unissant les Carp au processus de renaissance de Hiroshima après la catastrophe. Cela n’a pas été facile ni pour la cité ni pour l’équipe qui a dû attendre 1975 pour être sacrée pour la première fois de son histoire. Mais jamais, les joueurs et leurs supporteurs n’ont baissé les bras. Après les années 1980 qui marquèrent son âge d’or avec quatre titres entre 1979 et 1986, les Carp eurent plus de mal à s’imposer depuis leur dernier sacre en 1991. Aussi on peut comprendre pourquoi celui obtenu en septembre 2016 a été vécu avec une telle intensité par l’ensemble des acteurs.
Le succès de l’année dernière est bien sûr le résultat d’une réussite sportive exceptionnelle, mais beaucoup d’habitants de Hiroshima estiment qu’elle est le fruit de l’engagement en particulier d’un joueur, Kuroda Hiroki, qui avait décidé de revenir dans sa “bonne vieille ville” pour terminer sa brillante carrière. Son désir d’apporter sa hargne et son expérience au service d’un collectif qui en avait besoin a été interprété comme une sorte de mission (shimei) par les supporteurs, mais aussi par une grande partie de la population qui a exprimé massivement son soutien au club. Installée depuis 2009 dans le stade Mazda Zoom Zoom qui se situe à proximité de la gare de Hiroshima, l’équipe joue souvent à guichets fermés dans une rare ambiance de joie communicative, rythmée par des chants d’encouragements qui accompagnent les différentes phases de jeu. Parmi eux, il y a celui qui dit : “Aujourd’hui le prêtre shintô de Miyajima a tiré une carte chance sur laquelle est écrit que les Carp vont gagner encore et encore”.
Et quand l’équipe remporte un match, c’est toute la ville et sa région qui marque des points. Le parcours de l’équipe en 2016 et son titre obtenu de haute volée ont dynamisé l’économie locale. Selon une étude publiée en septembre, les retombées économiques pourraient atteindre les 33 milliards de yens (274 millions d’euros), un record dans l’histoire de ce sport. Cela démontre l’influence que le club possède localement, mais aussi au-delà des frontières de la préfecture. En effet, l’état d’esprit qui anime les Carp est souvent admiré, car le fonctionnement de l’équipe est unique. Il repose sur un engagement fort de tous ses membres avec, à la clé, un incroyable culte qui leur est voué. Et si la victoire est chérie, chacun comprend que les échecs servent à progresser pour, de nouveau, gagner même si cela peut prendre un quart de siècle!
Gabriel Bernard