Votre premier roman a été publié, en 2003, sous forme de feuilleton dans un magazine littéraire. Comment votre écriture a-t-elle évolué au cours des années ?
M. S. : Mes premiers romans portent sur des individus qui vivent dans des mondes clos. Les personnages principaux sont des personnes timides dont les vies ne sont pas faciles et qui n’ont pas d’amis. Ces histoires se déroulent souvent dans une sorte d’atmosphère claustrophobe. Aujourd’hui, je m’intéresse moins à ces personnages afin de pouvoir montrer davantage l’environnement dans lequel ils évoluent.

Comme vous l’avez dit, beaucoup de vos livres développent des intrigues très originales…
M. S. : Oui, vous avez raison (rires). Mes histoires plus anciennes ne sont pas si étranges cependant. Je suppose qu’avec le temps, j’ai acquis un goût pour des personnages et des histoires “différents”. Le fait est que je trouve amusant de chercher des histoires qui remettent en question le sens de nos valeurs. J’aime me surprendre et aller à la découverte de territoires inexplorés. Je me trouve souvent en train de me demander pourquoi mes personnages agissent d’une certaine façon ou prennent telle ou telle décision.
En tant que lecteur, il me semble que des livres tel que Satsujin shussan [Meurtre et accouchement, inédit en français] abordent certains problèmes de société comme la dépopulation et d’autres questions sociales. Est-ce prémédité ?
M. S. : Pas vraiment. Je dirais plutôt une sorte de prémonition. Cela dit, le choix de mes sujets peut être indirectement ou inconsciemment affecté par ce que j’ai lu dans les journaux. La société japonaise a beaucoup changé depuis que mon enfance. J’ai grandi pendant les années de la bulle économique. Beaucoup de filles portaient alors des bodycon, des vêtements très moulants, qui faisaient des ravages en discothèque. A cette époque, je m’inquiétais du moment où je devrais m’habiller aussi comme ça (rires). Heureusement pour moi, la bulle a éclaté et cette mode a disparu. Dans le même temps, cependant, les femmes sont devenues plus indépendantes et ont maintenant la possibilité de se marier tardivement et d’avoir des enfants plus tard dans la vie, voire pas du tout. L’idée du bonheur lui-même a beaucoup changé.
Le nombre de personnes célibataires sans emploi stable a augmenté dans de nombreux pays, y compris au Japon. C’est le cas de l’héroïne de Konbini Ningen, n’est-ce pas ?
M. S. : En effet. J’ai lu l’autre jour que beaucoup de cinquantenaires, hommes et femmes, ne s’étaient jamais mariés. Jusqu’à tout récemment, ces personnes auraient été considérées comme des perdants, mais comme je l’ai dit, la société a changé si rapidement au cours des 20 à 30 dernières années que personne ne peut dire comment cela évoluera dans le futur.
Lorsque vous avez remporté le prix Akutagawa l’année dernière, il y a eu beaucoup de commentaires sur le fait que vous travaillez dans une supérette. Quand avez-vous commencé à y travailler ?
M. S. : J’ai commencé quand j’étais à l’université. Le magasin où je travaillais a fini par fermer au bout d’un certain temps alors j’en ai trouvé un autre… jusqu’à ce qu’il ferme lui aussi (rires). Après cela, j’ai travaillé dans un famiresu [un restaurant pour les familles avec leurs enfants] et j’ai même essayé de me concentrer uniquement sur mon travail d’écrivain, mais finalement, je me suis rendue compte que j’arrivais à écrire plus si je travaillais à temps partiel dans une supérette. C’est ce que je fais encore maintenant. Je suppose que les deux choses se complètent bien. C’est vrai du moins pour moi. En travaillant dans un magasin et en ayant des contacts avec les gens, cela nourrit mon esprit. Actuellement, je travaille trois fois par semaine et, aussi étrange que cela puisse paraître, j’écris davantage au cours de ces trois jours que pendant mes congés.
Continuez-vous à penser à vos romans pendant que vous travaillez ?
M. S. : Non. Quand je travaille, je me concentre sur ma tâche, mais dès que j’ai une pause de 15 minutes, je prends mon cahier et commence à écrire. Heureusement, je peux me concentrer sur mes histoires, même pendant quelques minutes, et toutes sortes d’idées surgissent dans ma tête. J’ai généralement beaucoup de bonnes idées même si ces séances sont courtes.
Qu’aimez-vous dans votre travail à la supérette ?
M. S. : J’aime tout, mais surtout être à la caisse. J’aime regarder les visages des gens, ou quand quelqu’un me sourit. J’aime aussi faire les choses rapidement et lorsqu’on travaille à la caisse, on doit être rapide.
Y a-t-il quelque chose que vous n’aimez pas ?
M. S. : Pendant la saison d’oseibo, à la fin de l’année, nous devons respecter certains quotas, notamment pour les commandes des plats de fête et nous sommes censés les recommander aux personnes que nous connaissons (famille, amis, etc.) pour les acheter et prendre des réservations. Je ne suis pas vraiment bonne pour la vente ou pour persuader les gens. Je préfère plutôt le travail manuel, comme la mise en rayon ou le nettoyage du magasin.