L’éditeur Elephant Films sort trois œuvres méconnues du grand maître, principale figure de la Nikkatsu après-guerre.
Considéré comme l’un des plus grands cinéastes de l’après-guerre au Japon, Imamura Shôhei est surtout connu en France pour ses deux films récompensés à Cannes La Ballade de Narayama (1983) et L’Anguille (1997) sans oublier Pluie noire (1989) dont on annonce une prochaine ressortie. Ces œuvres remarquables ne doivent pas cependant faire oublier que le réalisateur a produit d’autres films qui ont marqué l’histoire du cinéma japonais. Comme d’autres cinéastes de sa génération comme Ôshima Nagisa ou Yoshida Kijû qui tentaient de bousculer l’ordre établi à la Shôchiku, Imamura Shôhei s’est employé à faire évoluer un autre grand studio : la Nikkatsu. Au début des années 1960, au moment où la Nouvelle vague atteignait les rivages de l’archipel, l’ancien assistant d’Ozu Yasujirô a entrepris de construire une œuvre empreinte de réalisme dans laquelle il tente d’explorer la nature humaine. Une approche qui lui a été inspirée par Kurosawa Akira et son Ange ivre (1948).
Trois de ses réalisations nous sont aujourd’hui proposées en DVD et Blu-Ray par l’entremise de l’éditeur Elephant Films. La première d’entre elles, Cochons et cuirassés (1961) est un must absolu. Sorti une première fois en France sous le titre Filles et Gangsters, ce film s’intéresse à la vie des yakuza dont les activités dépendent de la base américaine de Yokosuka, au sud de Tôkyô. Traité sur le mode de la comédie, le sujet n’en est pas moins sérieux et le long-métrage adapté du roman éponyme d’Otsuka Kazu aborde de façon très directe l’influence néfaste des bases américaines sur le territoire japonais. Plus d’un demi-siècle après sa sortie, le thème reste d’actualité et traduit bien les réticences des Japonais face à la présence américaine. Dans Cochons et cuirassés, il s’intéresse au destin de Haruko, une jeune prostituée, qui doit se battre pour s’en sortir. Le réalisateur ne s’en prend pas qu’à l’envahisseur américain, il a aussi la dent dure envers ses compatriotes qu’il juge trop lâches et incapables de réagir par rapport à une situation qui les dépasse.
Fin observateur de la société, Imamura Shôhei en fait une nouvelle démonstration avec La Femme insecte (1963) qu’il tourne après deux années d’interdiction imposées par la Nikkatsu après Cochons et cuirassés. Il y dresse le portrait d’une femme interprétée magistralement par Hidari Sachiko (récompensée à Berlin pour ce rôle) d’origine paysanne qui passe du statut de prostituée à celui de gérante d’un réseau de call-girls. Il montre à quel point la volonté de s’en sortir peut transcender les individus. C’est peut-être ce qui explique son énorme succès dans l’archipel auprès d’un public qui cherche à comprendre comment évolue l’âme japonaise. On retrouve ce même désir de sonder les individus. D’ailleurs, Imamura Shôhei passe beaucoup de temps à interroger des gens sur leur vie.
On retrouve cette approche dans Le Pornographe (1966) adapté du roman signé par Nosaka Akiyuki. Cette fois, c’est le destin d’un homme qui commercialise des films et des objets pornographiques sur lequel va se pencher le cinéaste. Malgré son titre et son thème, cette œuvre est ambitieuse. Peut-être trop aux yeux de la Nikkatsu avec laquelle Imamura Shôhei prend ses distances en créant sa propre maison de production. S’appuyant sur l’excellent Ozawa Shôichi dans le rôle principal, le cinéaste réalise une formidable satire de la société de son temps. On ne saurait trop recommander l’achat de ces trois films à tous ceux qui souhaitent découvrir un visage différent du Japon contemporain dans la mesure où Imamura Shôhei a montré sa capacité à saisir le monde qui l’entoure comme il l’a une nouvelle fois prouvé avec L’Histoire du Japon racontée par une hôtesse de bar (1970).
Odaira Namihei
Références :
Cochons et cuirassés (1961), La Femme insecte (1963) et Le Pornographe (1966) sont disponibles à compter du 3 novembre en DVD ou en édition combo (Blu-Ray, DVD) au prix de 19,99 € l’unité.