Film méconnu du cinéaste, Une Femme dans la tourmente est une de ses plus belles réalisations. A découvrir absolument.
Quand il entame le tournage d’Une Femme dans la tourmente (Midareru), Naruse Mikio est presque à la fin de sa longue carrière entamée trente-quatre ans plus tôt, en 1930. On dit alors que le cinéaste est sur le déclin. Pourtant, il va livrer l’un de ses plus beaux films porté par la merveilleuse Takamine Hideko avec qui il a commencé à travailler, en 1941, avec Hideko, receveuse d’autobus (Hideko no shashô-san). Ce que révèle ce long-métrage, c’est non seulement la parfaite maîtrise du cinéaste qui en est à son 86e film, mais surtout sa capacité à construire une histoire qui prend le spectateur de la première à la toute dernière minute. D’autant qu’il témoigne encore dans cette œuvre de son attachement à rapporter la vie des gens simples, mais qui connaissent eux aussi des drames liés à des facteurs extérieurs sur lesquels ils n’ont en définitive aucune emprise. Le côté sombre et tragique qui caractérise une partie de la filmographie de Naruse se retrouve donc dans Une Femme dans la tourmente.
Qui ne le serait pas d’ailleurs à sa place. Reiko (Takamine Hideko) vit à Shimizu, petite ville de province, où elle s’occupe de l’épicerie de sa belle-famille depuis la mort de son mari, tué au front à la fin de la guerre. Elle doit faire face à la concurrence d’un supermarché qui s’y est implanté. Le cinéaste insiste beaucoup sur cet aspect des choses. Vingt ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, une partie du pays, lequel s’apprête alors à devenir l’une des principales puissances économiques de la planète, n’est pas encore tout à fait préparée à basculer dans la modernité des rapports économiques dont le supermarché est en définitive l’illustration la plus marquante. Pour marquer les esprits, le réalisateur insiste notamment sur le prix des œufs bradés dans la grande surface, empêchant les petits commerçants de résister. Certains se suicident. La présence du supermarché est un sujet de tourment pour Reiko, mais il n’est pas le seul loin de là.
Elle doit faire face à l’hostilité d’une partie de sa belle-famille, en particulier sa belle-sœur Hisako (Kusabue Mitsuko) qui n’a qu’une seule envie : la chasser et elle a surtout à gérer son beau-frère Kôji (Kayama Yûzô) qui revient à Shimizu après avoir quitté son emploi dans la capitale. Le jeune homme qui mène une vie de patachon est pris à partie par sa famille, mais Reiko prend sa défense. C’est alors que Kôji lui avoue l’amour qu’il lui porte et qui explique son retour dans la province de ses ancêtres. Mais c’est évidemment une relation impossible. Reiko lui explique qu’ils ne pourraient pas lutter contre les commérages ni rien changer à leur différence d’âge. Kôji a 23 ans, il en avait 7 quand Reiko a fait son entrée dans la famille. Cette dernière doit se résoudre à partir et à retourner dans sa ville natale, prétextant son remariage. Kôji n’est pas dupe et décide de l’accompagner. Au cours du voyage, elle lui avoue son tourment depuis qu’il lui a déclaré sa flamme, mais elle se refuse à lui. Kôji s’enfuit et noie son chagrin dans l’alcool, ce qui lui sera fatal. Le film se termine sur le moment où l’on repêche son cadavre et où Reiko en prend conscience et court en vain derrière les brancardiers pour les rattraper. Cette scène est époustouflante. Sur le visage sidéré de Reiko, on découvre toute la fatalité de l’existence et on comprend que les tourments n’ont pas fini de la hanter. On ne saurait trop recommander de ne pas manquer ce chef-d’œuvre à sa sortie le 9 décembre.
Odaira Namihei
Références :
Une Femme dans la tourmente (Miadareru, 1994)
de Naruse Mikio,avec Takamine Hideko et Kayama Yûzô. En salles le 9 décembre.
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