C’est toujours comme ça de nos jours. Traverser la rivière pour se rendre sur la rive du château revient à faire un voyage dans le temps. On retrouve les fondations de l’ancienne résidence de la famille Kikkawa dans le parc Kikko qui abrite des musées, des fontaines, d’anciens sanctuaires et des maisons de samouraïs. Il y a également le sanctuaire de la famille Kikkawa (1884) et le superbe parc Momiji Dani créé à partir de plusieurs jardins de temple et que l’on a surnommé le Kamakura de l’ouest.
Le parc Kikko abrite aussi l’enclos aux serpents blancs. Visibles seulement à Iwakuni, ces adorables créatures sont des trésors nationaux et elles sont considérées comme des messagers de Benzaiten; divinité du Bonheur. De l’autre côté de la rivière se trouve le reste de la ville.
De toute évidence, les deux parties de la ville avaient besoin d’être reliées entre elles d’une manière ou d’une autre. Mais la rivière Nishiki plutôt capricieuse et célèbre pour ses débordements ont réduit à néant les premières tentatives de construire un pont. Jusqu’au jour où Kikkawa Hiroyoshi, troisième seigneur d’Iwakuni, a fait son entrée en scène. « Je veux bâtir un pont indestructible… Soit je construirai des piliers très solides, soit je créerai un pont sans aucun pilier », déclara-t-il. Il opta pour la première solution et le premier pont Kintai fut terminé en 1673. Malheureusement, une tempête emporta la structure de bois quelques mois plus tard. En 1674, un nouveau pont plus solide encore fut inauguré et tint 276 ans jusqu’au passage, le 14 septembre 1950, du typhon Kijiya qui le détruisit. Les habitants de la ville se rassemblèrent alors pour sauver ce qui restait du pont dont ils étaient si fiers. Ils travaillèrent toute la nuit pour tenter de détourner les eaux en chantant « Protégeons le pont ». Mais à 9h40, ils regardèrent impuissants le troisième pilier s’effondrer ainsi que la troisième et la quatrième arches être emportées au même titre que leur rêve de voir un jour leur pont désigné comme trésor national.
En réponse à la tristesse de la population locale, moins d’une semaine plus tard, des plans pour le reconstruire étaient déjà sur la table. Certains parlementaires à Tôkyô suggérèrent de le remplacer par un pont en béton, mais cette idée provoqua la colère des habitants qui voulaient retrouver la construction originale. Finanlement, au terme de deux années de travail, c’est leur volonté qui prévalut. En janvier 1953, le pont Kintai, troisième du nom, fut inauguré. Quarante ans plus tard, il fut enregistré comme trésor national.
Les gens de Tôkyô avaient raison sur un point. Une construction en bois serait toujours à la merci des éléments. Mais plutôt que de concevoir une structure plus permanente (une impossibilité puisque les experts avaient fini par reconnaître que les techniques modernes ne pourraient pas le rendre plus solide), la ville d’Iwakuni a trouvé une solution originale qui consiste à transmettre le savoir-faire architectural afin qu’il puisse servir à nouveau. C’est ainsi que les techniques traditionnelles sont transmises d’une génération à l’autre des ingénieurs civils qui peuvent ainsi remplacer les sections usées par le temps par de nouvelles pièces fabriquées à partir de cèdres japonais. Ils utilisent pour cela des techniques qui n’ont guère changé depuis l’ère d’Edo (1603-1868).
C’est en 2002 que s’est déroulée la première rénovation de grande ampleur. Le chantier fut achevé le 20 mars 2004, mais l’année suivante, le pont fut endommagé après le passage d’un typhon particulièrement puissant. L’actuel pont Kintai est donc le quatrième du nom.
Pour revenir à la fête qui le concerne, on est très vite enveloppé par le puissant son des grands tambours qui monte des rives de la Nishiki. De retour au matsuri, le son des tambours géants qui provient des rives de la rivière rappelle le tonnerre avant la tempête. Il annonce le temps fort de la journée : une procession spectaculaire sur le pont qui reconstitue le retour du seigneur local (daimyo) après son séjour à Edo imposé par le Shogun pour s’assurer de la fidélité de ses vassaux. C’est magnifique, le daimyo étant accompagné d’une escorte nombreuse et colorée, en costumes d’époque.
On voit alors apparaître des hommes brandissant d’énormes bannières accrochées à de longues perches au bout desquelles se trouvent des gros pompons. D’autres surgissent à leur suite, portant des drapeaux, frappant des tambours, sonnant des cymbales, chantant, portant de grand tansu (coffres en bois). Fonctionnaires, prêtres, courtisans, soldats, certains avec des épées de samouraïs, certains avec des arcs et de longues flèches ornées, d’autres dans des manteaux dorés marchent et dansnt à la fois au milieu de ce pont intemporel. Cette scène rappelle l’une des estampes de Hiroshige tirée de sa longue série des Cinquante-trois stations de la route du Tôkaidô. Leur passage se déroule à un rythme qui rappelle celui du théâtre no comme si l’on voulait nous faire l’éloge de la lenteur. Au bout de près d’une heure, apparaissent alors le seigneur et sa femme entourée de ses dames d’honneur dans un superbe kimono. Leur arrivée annonce la fin de la procession.