Sur place, les militants et les sans-abris lavent la vaisselle, découpent des légumes, et dressent des tables. Ils évoquent aussi le traditionnel festival d’été (voir Zoom Japon n°52, juillet 2015) qui approche. L’ambiance est presque gaie, alors que, la date du 27 mars, jour où la mairie de Shibuya a fermé le parc Miyashita, reste gravée dans les mémoires de tous comme un moment de tristesse. Vers 9h du matin, les autorités ont érigé une clôture avec des palissades de chantier alors que des SDF s’y trouvaient encore. Des dizaines de policiers sont venues ensuite pour les déloger.
L’événement s’est pourtant déroulé sans violence physique, mais un militant, qui dormait avec des SDF dans le parc en signe de contestation contre la maire, a été arrêté pour obstruction à la justice. Les militants, dépêchés sur place, ont négocié avec les autorités afin de trouver un autre endroit pour les sans-abris qui avaient littéralement nulle part où aller. Certains d’entre eux ont fini par s’installer devant la mairie, mais “on n’a pas réussi à décrocher d’autorisation officielle de la mairie, ils ferment juste les yeux. On ne sait pas jusqu’à quand ces gens pourront rester ici”, soupire Kimura Masato, professeur à l’université Takachiho et membre de l’association depuis une quinzaine d’années. “Pourquoi construire un hôtel de luxe dans un lieu public censé être ouvert à tout le monde ?” peste Sudô Sumiko, une autre membre de Nojiren. L’ironie de l’histoire est que l’expulsion des SDF a eu lieu avant même que la mairie n’obtienne la validation du permis de construire. Le parc servant de refuge en cas de tremblement de terre, personne ne sait ce qu’il va advenir de la sécurité. Pour les associations comme Nojiren, c’est l’énième cas de délocalisation, qui se produit de plus en plus souvent dans la capitale. “C’est un cas typique de gentrification”, se lamente Sudô. Le parc Meiji, situé à côté du quartier chic d’Aoyama, a été fermé en raison de la construction du grand stade olympique de Tôkyô pour l’été 2020. Les sans-abris qui vivent dans le parc Yoyogi, lui aussi dans le centre-ville, sentent la pression des autorités s’accroître de plus en plus. Concernant cette affaire, la réaction de la mairie est catégorique. “Le parc n’est pas un endroit pour dormir”, grogne Yoshitake Naruhiro, responsable de la gestion des parcs dans l’arrondissement. “En plus, les SDF laissent leurs affaires dedans et montent des tentes. Je vous rappelle que tout cela est illégal.”
Au grand dam des militants et des sans-abris, la fermeture du parc s’est déroulée dans une indifférence totale – les grands médias n’en ont presque pas parlé et les protestations des associations contre la mairie n’ont guère suscité l’attention. Ce n’est pourtant pas une chose surprenante pour Mélanie Hours, maître de conférences à l’université Toulouse Jean Jaurès et spécialiste des problèmes de pauvreté au Japon. “Les Japonais ont beaucoup tendance à considérer que si quelqu’un se trouve dans la rue, cela relève pour beaucoup de la responsabilité individuelle”, note la chercheuse, qui peine pourtant à expliquer pourquoi cette logique du “si tu es dans la misère, c’est de ta faute” est si répandue dans le pays. “Mon hypothèse, c’est qu’il y a un regard nostalgique sur la société des années 1970 et 1980. A l’époque, on considérait qu’il n’y avait plus de pauvreté, et des personnes qui n’arrivaient pas à maintenir un certain niveau de vie étaient tout de suite jugées comme responsables de leur situation”, estime-t-elle. “Le discours n’a pas changé alors que l’économie japonaise s’est fragilisée”.
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