Ki-oon publie un véritable petit chef-d’œuvre qui ne laissera aucun lecteur sans réaction. A lire et à relire.
Les deux auteurs de cet opus qui fut d’abord publié sur Internet avant de trouver un éditeur classique auraient donc pu se lancer dans une description sombre de la situation. Mais au lieu de cela, ils ont voulu montrer qu’il ne sert à rien de se montrer fataliste et qu’il existe sinon des solutions à tous les problèmes, du moins des façons de les aborder qui permettent d’ouvrir des perspectives et de susciter l’espoir. Avant même de plonger dans la lecture du recueil édité avec soin par Ki-oon pour sa collection Latitudes, son titre exprime clairement les intentions des deux auteurs puisque leurs quatre histoires seront placées sous le signe du renouveau, notamment dans la manière d’aborder les rapports humains.
Dans le premier récit qui a donné son titre au recueil et qui enveloppe les trois autres histoires, tout commence pourtant de façon classique. Nous sommes quelque part, loin de Tôkyô, dans un petit port de pêche où un couple – Genjirô est pêcheur et Tome tient un petit restaurant – évoque la question de la succession. “Il faudrait que Ryûta rentre et reprenne le bateau…”, lance Tome tandis que son mari lui répond : “Tu rêves, ça fait 20 ans qu’il est monté à Tôkyô !”. Une discussion somme toute banale dans le Japon d’aujourd’hui où la transmission d’activités disparaît à mesure que les familles se dispersent. Mais le coup de téléphone qu’ils reçoivent va bouleverser cet ordre des choses qui s’est peu à peu établi dans l’ensemble du pays depuis le tournant des années 1950 et s’est accéléré au cours des 30 dernières années. La mort de Ryûta et de son épouse dans un accident de voiture va amener les deux “anciens” à faire leur “voyage à Tôkyô”. A la différence du film d’Ozu qui mettait l’accent sur la disparition du lien filial entre des parents de la vieille école, Sous un ciel nouveau renverse la situation. Ce sont Genjirô et Tome qui vont prendre la succession de Ryûta qui, avant son décès, avait lancé avec succès un restaurant dans la capitale. Dans ce lieu fréquenté par une jeunesse exubérante qui fait fi des conventions et de la politesse et où Genjirô devient “Gen” pour cette cliente qui commande son moka, les deux “anciens” trouvent leur place. “Les gens de Tôkyô ne sont pas comme ce qu’on nous montre à la télé et dans le journal… En fait, c’est partout pareil !”, reconnaît l’ancien pêcheur.
Ici pas de conflit générationnel, pas d’opposition frontale entre la ville et la campagne, Fujii Kei et Hirai Cocoro ont intégré le fait que la tendance est irréversible, sans pour autant accepter qu’elle devienne source de malheur. Au contraire, les deux auteurs se veulent optimistes sans pour autant tomber dans une vision lénifiante de la société. Les deux héros de cette histoire doivent d’ailleurs faire face à la dure réalité – maladie, concurrence déloyale, solitude, petits boulots – du Japon contemporain, mais ils surmontent tous les obstacles grâce à la force de leur amour réciproque – il y a d’ailleurs de très belles pages à ce propos dans le chapitre 2 – et à la solidité du lien qu’ils ont réussi à maintenir avec ce que leur fils avait mis en place.
Il en va de même dans la seconde histoire du recueil intitulé Le gant de base-ball de maman. A l’instar d’un Kore-Eda Hirokazu qui explore dans bon nombre de ces longs métrages, l’absence du père, Fujii Kei et Hirai Cocoro apportent leur regard et montrent encore une fois que l’on peut surmonter la situation à partir du moment où l’on accepte de sortir des sentiers battus. Pas facile pour un jeune garçon de voir ses camarades de club évoquer les exploits de leur père quand le sien est mort et que l’on a aucun souvenir ou presque de lui. Tout en donnant l’impression de concentrer l’histoire sur l’enfant, les deux auteurs n’en oublient pas, bien au contraire, la mère. Elle est au cœur de ce court récit d’une grande subtilité dans lequel ses silences et ses regards en disent long. Il montre elle aussi comme les personnages de Sous un ciel nouveau qu’on ne peut pas se résoudre à se laisser emporter par le quotidien et la routine. Alors qu’au début de l’histoire, elle semble presque étrangère aux tourments de son fils en quête de liens avec son père disparu, elle va prendre le taureau par les cornes et devenir justement le chaînon manquant. “Ce n’est pas grave si vous ne savez pas jouer, c’est surtout une façon de tisser des liens…”, lui explique-t-on d’ailleurs. Et elle va jouer le jeu et lui permettre de s’épanouir.