“La Corée est désormais une démocratie fondée sur une séparation des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire). Dès lors, l’exécutif ne peut pas interférer dans les décisions prises par la branche judiciaire”, rappelle l’ancien journaliste. “Le gouvernement coréen n’a pas d’autre choix que d’accepter la décision de la Cour suprême. En revanche, la séparation des pouvoirs repose sur un système de freins et de contrepoids. A mon avis, quand une décision prise, par exemple, par le pouvoir judiciaire menace la politique étrangère du pays, il est du devoir de l’exécutif de s’occuper de ces questions et de réconcilier la position de chacun. C’est exactement ce que le gouvernement coréen a évité de faire jusqu’à présent”, regrette-t-il.
De nombreux observateurs et commentateurs – y compris ceux qui, en principe, souscrivent aux revendications de la Corée du Sud relatives au passé – semblent penser que le gouvernement coréen est, cette fois, allé trop loin s’agissant de repousser les limites de ce qu’il peut obtenir du Japon. Mais beaucoup de Coréens ne partagent pas cette vision des choses. “Quand je parle de ce problème avec des Coréens et que j’explique le point de vue du gouvernement japonais, beaucoup d’entre eux répondent souvent que le Japon devrait se montrer plus humble. Après tout, c’est le Japon qui était l’agresseur pendant la guerre et la Corée, sa victime, et non l’inverse. Pourquoi les Japonais nous reprochent-ils d’avoir abordé un problème dont ils sont la cause ? Pourquoi sont-ils toujours en train de se chicaner ?”, rapporte Okuzono Hideki.
Comme il le fait remarquer, le vrai problème aujourd’hui est que les deux pays voient les choses avec des regards totalement divergents et qu’ils ne semblent pas disposés à trouver un terrain d’entente. “Pour les Japonais, les accords officiels constituent une chose sérieuse”, explique-t-il. “Une fois que vous signez un traité, vous devez le respecter. Au Japon, il existe une expression : une règle est une règle, même si elle est mauvaise. Si vous n’êtes pas satisfait d’une loi en particulier, changez-la. Mais vous ne pouvez pas continuer à repousser les limites de ce qui a été convenu. Les Coréens, cependant, ont une approche différente. Les choses les plus importantes pour eux sont les “émotions” et la “justice”. Les lois sont faites par les gens, disent-ils. Si une loi est considérée comme injuste, il ne faut pas la suivre. En plus de cela, en tant que victimes de l’agression japonaise pendant la guerre, ils estiment avoir le droit moral d’être respectés.”
Alors que le gouvernement japonais veut tourner la page et ne pense qu’à ses relations actuelles avec son voisin, la Corée du Sud fonde toutes ses revendications sur des événements du passé. “Le traité d’annexion de 1910 est en réalité l’élément sur lequel la Cour suprême de Corée a fondé sa décision”, note-t-il. “La position de la Corée est que ce traité était illégal et a été conclu sous la contrainte, et que la Corée entre 1910 et 1945 n’était qu’une colonie japonaise. Même dans ce cas, le gouvernement japonais convient que le traitement de la Corée était injuste. Cependant, leur régime colonial n’était pas différent de ce que faisaient les pays européens à l’époque et doit être jugé dans ce contexte particulier. A cet égard, le traité de 1910 était légal et légitime.”
Un développement récent et troublant dans les relations entre le Japon et la Corée est que les deux pays semblent s’éloigner l’un de l’autre. “C’est vrai. A bien des égards, le Japon n’a plus la même valeur aux yeux des Coréens . Elle n’est plus aussi élevée qu’auparavant. Par exemple, ils adoraient Sony et Panasonic, mais les deux sociétés combinées sont maintenant plus petites que Samsung. Dans le passé, en particulier pendant la guerre froide, les Etats-Unis et le Japon étaient les principaux référents diplomatiques pour la Corée du Sud. La fin de la guerre froide a coïncidé avec le développement économique rapide coréen et l’apparition de la Chine sur la scène mondiale. Aujourd’hui, Pékin est devenue le meilleur allié de la Corée du Sud, tant sur le plan politique qu’économique. Tout d’abord, la Chine est devenue le plus grand marché pour les exportations sud-coréennes. En outre, c’est le seul pays – bien plus que le Japon ou les États-Unis – à disposer d’une certaine influence sur la Corée du Nord et qui s’assure qu’elle ne dérape pas trop. L’un des problèmes de la Maison Bleue (présidence sud-coréenne) est lié aujourd’hui à sa politique étrangère. Parmi les conseillers du président Moon Jae-in, personne n’est vraiment au courant des affaires japonaises. Tout le monde est concentré sur – voire obsédé par – la Corée du Nord. Même les États-Unis ne sont plus considérés comme un allié important que dans la mesure où ils peuvent aider à gérer la question nord-coréenne”, constate le spécialiste japonais.
“On peut dire la même chose de l’attitude japonaise à l’égard de son voisin sud-coréen. Le Premier ministre Abe ne fait pas confiance à son ministère des Affaires étrangères et personne au sein de son cabinet ne sait comment traiter ces questions de manière efficace et judicieuse. Par exemple, quelqu’un qui connaît et comprend vraiment ce pays n’aurait jamais décidé d’imposer des restrictions à l’exportation (comme Tôkyô a choisi de le faire au début du mois d’août). Parce que du point de vue coréen, cette décision revient à vouloir intimider quelqu’un que vous considérez plus faible que vous. Ça leur rappelle ce que faisait le Japon pendant la période coloniale. Compte tenu des circonstances, il était naturel qu’ils réagissent avec le même comportement. Pour être juste, le gouvernement sud-coréen est lui aussi coupable de choix tout aussi discutables. Par exemple, j’aurais réfléchi à deux fois avant d’imposer de nouveaux contrôles sur les importations de produits alimentaires en provenance du Japon. La triple catastrophe de Fukushima est encore une blessure récente pour beaucoup de Japonais, et la fracture actuelle n’est pas une raison suffisante pour leur rappeler ce qui s’est passé en 2011”, ajoute Okuzono Hideki.