Il travaille notamment avec Hayashi Shingo, un agriculteur spécialisé dans la culture du raisin, pour créer de nouveaux cépages locaux résistants au climat japonais, afin de se lancer dans la culture des vignes qui ne nécessiteraient aucun traitement. Il a planté plusieurs variétés dans une parcelle presque sauvage, pour essayer de déterminer lesquelles pourraient supporter la culture biologique. Il est aussi bien évidemment important d’examiner la qualité du goût des raisins propices à la préparation du vin.
Ici, “prendre le temps qu’il faut” est la règle d’or. Car si on réussit à déterminer les variétés les plus adaptées au climat d’Okayama, il faut parfois faire des croisements, les faire pousser, vérifier le taux de sucrosité, la résistance, préparer les pieds et les planter en quantité suffisante pour la production de vin. Ce n’est qu’après que l’on peut vraiment savoir si c’est ce cépage qui va être utilisé. C’est un travail d’Hercule sinon de Sisyphe. Mais les visages de ces deux hommes sont radieux. M. Hayashi affirme que la passion et l’envie de voir apparaître un bon vin dans la région le poussent à travailler avec patience. Investir en tant que privé dans ce travail de longue haleine de création de cépages croisés est loin d’être simple. “Il ne faut pas trop en parler à nos femmes, qui nous critiqueraient en disant que nous ne parlons que des rêves propres aux hommes…”, disent-ils en riant.
Ôoka Hirotake produit également du vin avec un cépage appelé Shôkôshi, issu d’un croisement avec une variété endémique, le yamabudô (raisin de montagne), résistante aux maladies et qui permet donc une culture organique. Et pour certains cépages difficiles à cultiver dans l’Archipel à cause de la pluie, il propose d’utiliser les serres en verre, propres à Okayama qui existent depuis plus de cent ans grâce à la culture des arbres fruitiers. Ainsi, les serres traditionnelles ne sont plus abandonnées faute d’usage, et les raisins n’attrapent pas de maladie à cause de l’humidité. Les faire pousser en bord de serre avec les racines à l’extérieur, élimine également le problème de l’arrosage. Ôoka Hirotake lui-même cultive la Syrah dans sa serre. Dans une autre parcelle, on aperçoit des pieds de Savagnin, et on devine qu’il est en pleine expérimentation pour apprendre à connaître son terroir. Parler du “terroir” n’est pas une évidence pour les vins au Japon, car il faut d’abord réfléchir à la nature de sa région, planter des vignes en harmonie avec la terre, imaginer un mode de production qui fonctionne sur le long terme, financièrement parlant, et pour les vignerons, et pour les producteurs de vin…
Ceux qui connaissent les vins réalisés par Ôoka Hirotake au cours de sa période “France” affirment que l’on sent toujours, malgré le changement de lieu et de cépage, une “tonalité” qui lui est propre. Preuve que le vin est le résultat d’une osmose entre le travail des hommes et celui de la terre. Le cas d’Ôoka est pour cela exemplaire : dès son retour au Japon, il a vu les terrains à développer, et a élaboré des projets dans plusieurs domaines, pour que la région se distingue par ses vins. Un projet né de la philosophie du “vivre ensemble”.
Exemplaire aussi parce que c’est la philosophie de beaucoup de producteurs au Japon, peu importe la manière dont elle est appliquée. Nombreux sont ceux à avoir remarqué l’esprit d’entraide des jeunes producteurs. Ôoka Hirotake propose, entre autres, des formations et des stages destinés aux jeunes passionnés, afin d’inciter les producteurs de vins à s’installer à Okayama.
Il a également pour objectif de rassembler les producteurs biologiques de tout genre (légumes, riz, fruits, éleveurs de porcs, de poulets, fermiers…) afin de mettre en place un cycle de production organique avec un recyclage des matières à tous les stades. Cette vision est suffisamment passionnante et lumineuse pour entraîner la jeune génération à très vite suivre ses pas.
Sekiguchi Ryôko
1 2