Romancier et critique d’art, Shibusawa Tatsuhiko était aussi connu comme un traducteur. Il a notamment contribué à faire connaître la littérature française aux Japonais. En effet, ses premières contributions dans An An ont été des traductions du Petit Chaperon rouge et du Chat botté de Charles Perrault. Si dans les années 1980, il est devenu un auteur culte grâce à ses romans fantastiques et ses essais sur l’érotisme et la magie noire, une décennie auparavant, il était encore un outsider, une figure controversée qui avait soutenu le Parti communiste et il avait été impliqué dans un scandale après sa traduction de L’Histoire de Juliette, ou les prospérités du vice du marquis de Sade pour laquelle il a été poursuivi pour obscénité publique.
À partir de septembre 1970, il a commencé à sillonner toute l’Europe. Ces voyages sont devenus le sujet d’une série de récits de voyage publiés dans An An. “Je me souviens encore de ses articles sur l’Allemagne, quand il a visité la Bavière et écrit sur Louis II. Pour une jeune Japonaise comme moi, c’était comme être introduit dans un monde de conte de fées”, assure Mizumoto Akemi qui a conservé certains exemplaires du magazine contenant ces textes. Les récits de voyage figuraient parmi les contenus les plus appréciés des lectrices d’An An, devenant une sorte de marque de fabrique pour le magazine. Ils combinaient des textes intelligents de plusieurs écrivains de renom, des photos en couleurs et des cartes tout aussi belles dessinées par Horiuchi Seiichi qui fut un proche de Shibusawa Tatsuhiko. Ces récits, ainsi que des articles similaires publiés dans le magazine Non-no, ont été à l’origine du phénomène An-Non zoku, la tribu An-Non qui désignait des jeunes femmes célibataires d’environ 20-25 ans qui voyageaient seules ou en petits groupes, tant au Japon qu’à l’étranger (voir pp. 4-5). Le nouveau rôle joué par les femmes sur le marché du voyage a trouvé sa trame sonore avec le disque Ii hi tabitachi [Un bon jour pour voyager] que la célèbre chanteuse Yamaguchi Momoe a sorti en 1978.
Si Mizumoto Akemi reconnaît qu’elle n’a jamais beaucoup voyagé, elle a toujours aimé les numéros spéciaux qu’An An consacrait aux voyages. “Ils m’ont ouvert une fenêtre sur un monde complètement nouveau. Pour moi, c’était une chance de découvrir de nouveaux horizons et de vivre par procuration l’excitation de découvrir des destinations lointaines. Vous pouvez dire que j’ai toujours été une touriste de salon”, s’amuse-t-elle aujourd’hui.
Elle a passé toute sa vie à Kyôto. “Les Japonais ont toujours été nombreux à vouloir s’installer à Tôkyô. C’est tout à fait compréhensible dans la mesure où la capitale est le centre de tout – la politique, la culture, le commerce. Pour ma part, j’ai toujours préféré vivre à Kyôto. Je me rends à Tôkyô de temps en temps, mais pour rien au monde, je m’y installerais. J’aime Kyôto parce que c’est une ville plus compacte et que tout est plus ou moins accessible en marchant”, explique-t-elle.
Cependant, Mizumoto Akemi a vu sa ville natale se transformer progressivement. “La ville où j’ai grandi quand j’étais enfant est à peine reconnaissable aujourd’hui. Les magnifiques temples et jardins sont toujours là, mais ils sont protégés par du verre et du ciment. Malheureusement, l’endroit magique qu’An An présentait dans ses pages au début de son existence n’existe plus. La cité est aussi devenue plus bruyante et plus fréquentée, avec tous ces touristes qui viennent du monde entier. Maintenant que ces derniers ont disparu à cause du coronavirus, je dois reconnaître qu’on se sent un peu seul”, soupire-t-elle.
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