Souvent oubliée par les touristes, la péninsule regorge pourtant de trésors, comme ses rizières en terrasses.
Si vous parcourez une carte du Japon, votre regard sera attiré par une péninsule à la forme étrange qui se détache de la côte occidentale. C’est Noto (Noto hantô). Bien que proche de Kanazawa, l’une des destinations touristiques les plus populaires du Japon, la plupart des gens ont tendance à la contourner. C’est dommage car elle a beaucoup à offrir.
Malgré son climat rude, la péninsule fut également de la période Edo à la période Meiji une zone de transit pour le commerce passant par la mer du Japon. Appelés Kitamaebune, ces bateaux faisaient du commerce entre Hokkaidô et Ôsaka. C’est ainsi qu’une culture et un esprit uniques se sont développés à Noto. L’un des endroits les plus populaires de Noto est Shiroyone Senmaida, une colline pittoresque composée de rizières en terrasses, à proximité de la ville de Wajima. Elle appartient au premier site japonais inscrit au patrimoine agricole mondial, le Noto no Satoyama Satoumi. Elle a également été sélectionnée comme l’une des 100 plus belles rizières en terrasses du Japon.
De petites rizières taillées à flanc de collines descendant vers la mer du Japon se chevauchent. Le site vaut la peine d’être visité en toute saison, notamment au printemps lorsque l’eau est puisée en vue de la plantation du riz, en été lorsque les semis poussent et en automne lorsque les épis de riz arrivent à maturité. De plus, en hiver, elles sont illuminées au moyen de 20 000 LED. Wajima est également un centre de pêche florissant. Depuis l’Antiquité, les concombres de mer sont un mets de choix dans la région. Pour apprécier la culture alimentaire locale, il ne faut pas manquer le marché du matin de Wajima, l’un des trois principaux marchés du matin (asa-ichi) au Japon (avec Yobuko, dans la préfecture de Saga, et Katsuura, dans la préfecture de Chiba) dont l’histoire a plus de 1 000 ans. Avec plus de 200 étals alignés le long de la principale rue commerçante, il est divisé en catégories telles que les fruits de mer frais, les fleurs et les produits agricoles, l’artisanat populaire, les aliments transformés, les vêtements et les marchandises diverses. Souvent, le prix n’est pas indiqué, ce qui vous permet de marchander avec les habitants. A proximité du marché, les amateurs de Goldorak pourront visiter le musée consacré à Nagai Gô (8 h 30 – 17 h, 520 yens/4 euros), le père du célèbre robot. Originaire de cette petite cité portuaire, il était logique qu’on lui rende hommage à travers des expositions temporaires et de nombreuses activités. Bien qu’il soit modeste en comparaison avec d’autres établissements comme celui dédié à Tezuka Osamu, à Takarazuka (voir Zoom Japon n°77, février 2018), il permet de se familiariser avec son œuvre. La boutique, qui propose des objets uniques, mérite qu’on s’y arrête. Vous ferez sans doute des heureux.
Noto est célèbre pour ses matsuri (voir Zoom Japon n°62, juillet 2016) de kiriko qui se déroulent dans de nombreux endroits de la péninsule entre août et octobre, chacun présentant des caractéristiques légèrement différentes. Le festival tire son nom des énormes chars à lanternes qui défilent pendant les festivités. Certains d’entre eux sont si grands qu’ils sont tirés par près de 100 personnes. Le plus ancien kiriko (conservé au musée Wajima Kiriko Kaikan) a été fabriqué en 1853 et est entièrement en laque de Wajima.
L’île de Noto, située dans la baie de Nanao, accueille le festival du feu de Kôda du sanctuaire Iyahime, l’un des trois plus grands festivals du feu du Japon. Selon la légende, Iyahiko (divinité masculine), qui a formé la province d’Echigo (aujourd’hui préfecture de Niigata), visite l’île pour voir son amante Iyahime (divinité féminine) une fois par an.
Un mikoshi, autel portatif, arrive sur la place après une cérémonie au sanctuaire. 7 lanternes kiriko de différentes tailles défilent au son des gongs, tambours et flûtes. Le rythme de la musique change et devient plus dynamique. Les gens courent autour d’un pilier de 30 mètres, en tenant des petites torches en paille. On arrive ensuite au point culminant du festival, lorsque tous lancent leurs torches sur le pilier, l’enflammant en un instant et illuminant le ciel nocturne. On dit que si le pilier tombe vers les montagnes, la récolte sera bonne, et s’il tombe vers la mer, les prises de poissons seront bonnes. Cette torche géante est aussi censée apporter une longue vie. Lorsqu’il tombe enfin sur le sol, les gens se précipitent vers lui pour en prendre un morceau, et la fête atteint son apogée.
Le festival Saikai dans la ville de Shika est organisé pour demander aux dieux des prises abondantes et la protection des pêcheurs. Les femmes participent à ce festival à la place des hommes dans ces régions, car les hommes sont traditionnellement partis à la pêche ou occupés à d’autres activités professionnelles. Lorsque le tambour Togi-miyuki est battu alors que le soleil se couche dans la mer du Japon, le festival commence. Un mikoshi et le kiriko sont transportés dans toute la ville pendant que les participants entonnent la chanson du festival. Lorsque la procession arrive à l’intersection de cinq routes, les kiriko sont portés un par un en haut de la colline.
Les femmes porteuses de kiriko sont tout aussi courageuses que leurs homologues masculins. Elles fascinent le public en exécutant une performance énergique, vêtues d’un yukata, kimono d’été en coton, d’un jupon de kimono et d’un tablier blanc. Mais la fête ne s’arrête pas là. Lorsqu’elles retournent vers leurs sanctuaires respectifs, une bataille de mikoshi et de kiriko commencent. Les porteurs de kiriko et les habitants du quartier tentent d’interdire l’entrée du sanctuaire au mikoshi pour empêcher la fin du festival. On assiste à une danse sauvage, faisant monter l’excitation.
Contrairement à la plupart des festivals de kiriko de Noto, qui atteignent leur apogée la nuit, le festival Okinami Tairyô, qui se tient dans le quartier Okinami de la ville d’Anamizu, a lieu pendant la journée. Selon la légende, la divinité du sanctuaire Suwa d’Okinami a dérivé le long du rivage. C’est pourquoi les lanternes kiriko sont portées à la mer pour une cérémonie de purification et pour prier en faveur de bonnes pêches et de la sécurité des pêcheurs.
Le premier jour du festival, lorsque des feux d’artifice sont allumés dans le ciel nocturne, les kiriko se rendent au sanctuaire Suwa d’Okinami à la rencontre du mikoshi avant de défiler ensemble dans la ville. Ensuite, l’autel portatif est transporté au sanctuaire Ebisu à Ebisuzaki. Les kiriko dansent dans l’enceinte du sanctuaire au son des tambours et des gongs, tandis que la foule lance des cris puissants et rythmés.
Le matin du deuxième jour, lorsque les lanternes des kiriko se rassemblent sur la plage d’Okinami Tairyô, les tambours sont frappés en rythme et les porteurs entrent un par un dans la mer au son d’un sifflet. Ils dansent vigoureusement dans l’eau jusqu’à la poitrine. Lorsque les tambours sont frappés plus fort, les kiriko absorbent l’eau et deviennent plus lourds. Cependant, la danse continue au milieu de l’eau. Lorsque le sifflet retentit une nouvelle fois, les kiriko retournent sur la plage.
Le premier festival de kiriko de l’année est aussi le plus dynamique et le plus “dangereux”. Ce n’est pas par hasard qu’il s’appelle le festival Abare (“violence”). Le premier jour, le kiriko est le clou du spectacle. Le soir, ils sont plus de 40 à être alignés. A 21 heures, des feux d’artifice sont tirés pour marquer le début du festival. Les kiriko sont transportés jusqu’à la place Iyasaka, devant l’Hôtel de ville. A leur arrivée, cinq torches piliers de 7 mètres de haut sont allumées. Les porteurs de kiriko continuent de tourner autour des torches piliers au son des tambours. Les participants et le public s’excitent à la vue des flammes et des étincelles qui tombent, et le festival atteint son apogée.
Le véritable déchaînement, cependant, est encore à venir. Le deuxième jour, les mikoshi se mettent en route vers le sanctuaire Yasaka, avec les kiriko à l’avant et à l’arrière. Avec des acclamations puissantes, les porteurs jettent les mikoshi dans la mer, la rivière, et dans un feu. Le moment le plus fort est lorsqu’ils les jettent dans la rivière depuis le pont de Kajikawa, les font rouler dans l’eau et montent dessus. Une fois arrivés au sanctuaire, ils jettent des statuettes dans les flammes des torches allumées et les battent, provoquant ainsi des étincelles. Les mikoshi sont jetés dans le feu à plusieurs reprises. Le festival se termine à deux heures du matin, lorsque les statuettes, ayant miraculeusement survécu à l’épreuve, sont transportées dans la salle de culte du sanctuaire. Même si vous n’avez pas l’occasion de visiter Noto lors d’un matsuri, vous pouvez toujours admirer de nombreux kiriko au musée de Wajima (9 h – 17 h, 630 yens / 5 euros). Les lanternes sont exposées pour recréer l’atmosphère du festival. Celle de 5 mètres de haut exposée au musée est toujours utilisée lors du grand festival de Wajima qui se tient chaque année en août.
Bien qu’aujourd’hui encore, peu de touristes étrangers s’aventurent à Noto, il y a 130 ans, l’auteur et astronome américain Percival Lowell a été frappé par la forme étrange de la péninsule. “Sa ligne de côte était si coquettement irrégulière”, avait-il écrit, qu’il décida de se rendre sur place. Il a même rédigé, en 1891, un livre sur son aventure picaresque intitulé Noto : An Unexplored Corner of Japan (Pinnacle Press, inédit en français).
Lorsque Lowell arriva à Noto, en mai 1890, il était le troisième Occidental à mettre le pied dans la péninsule : “deux Européens (…) étaient venus l’été précédent. (…) Attirés par la renommée des sources [d’eau chaude], ces hommes étaient venus de Kanazawa à Kaga, où ils enseignaient la chimie, pour tester les eaux de Wakura Onsen.”
Bien qu’il soit aujourd’hui beaucoup plus facile de se déplacer dans Noto, l’atmosphère dépeinte par Lowell lors de son voyage est toujours aussi proche : “La route file son cours tortueux sur des kilomètres à travers la plaine rizicole, bordée de part et d’autre par les rizières. Des groupes de fermes aux toits pentus étaient entourés d’une mer de riz.” Lowell devint instantanément une célébrité auprès des habitants qui n’avaient jamais vu d’Occidental. Une nuit, par exemple, le préfet local vint vérifier son passeport et déclara avec une certaine fierté qu’il avait lui-même été une fois à Tôkyô.
Le point culminant de son voyage fut son tour à bord d’un petit bateau naviguant dans les eaux calmes de la mer intérieure locale. “La terre, à des distances plus ou moins pittoresques, s’étendait tout autour de nous. (…) Le regard se promenait sur une étendue d’eau encadrée par des promontoires bas sur dix miles ou plus. L’atmosphère générale ressemblait à une étrange réclusion semblable à un sommeil. (…) cela enfermait ce petit coin du monde dans une sorte de vallée heureuse qui lui était propre.”
Le scientifique y découvrit une structure aquatique des plus singulières : quatre poteaux plantés dans l’eau, inclinés l’un par rapport à l’autre selon un angle tel qu’ils se croisaient aux trois quarts de leur hauteur. Ils soutenaient un grand panier d’osier d’où dépassait la tête d’un homme. L’homme ainsi perché était en train de pêcher. L’homme accroupi dans le panier était à l’affût de gros poissons. Dès que l’un d’entre eux s’aventurait dans la bouche du filet, l’homme tirait les ficelles qui fermaient l’ouverture. Finalement, Lowell obtint la permission d’essayer. “La façon dont la chose se balançait et se tortillait me donnait l’impression que l’instant d’après, nous serions tous propulsés dans la mer à la manière d’une catapulte.” A cette époque, toute la côte était parsemée de ces structures. Aujourd’hui, seules deux d’entre elles ont été préservées près de la ville d’Anamizu. Cette cité est un autre endroit charmant à visiter. Selon le carnet de voyage de Lowell, il n’a passé qu’une heure environ à Anamizu avant de reprendre un autre petit bateau pour Nanao. Mais les habitants ont été si impressionnés par sa visite qu’ils ont construit un petit monument en sa mémoire et même créé leur propre festival Lowell.
Enfin, on ne peut s’intéresser à Noto sans évoquer les célèbres objets en laque de Wajima. Wajima est le plus grand producteur d’objets en bois laqué (urushi en japonais) du pays. En 1977, le Wajima-nuri, le style de laque local, a été désignée comme bien culturel immatériel important par le gouvernement japonais. La principale caractéristique du Wajima-nuri est son revêtement durable, obtenu par l’application de plusieurs couches d’urushi mélangé à de la terre en poudre sur du bois de zelkova délicat.
Alors pourquoi le Wajima-nuri s’est-il développé ici ? Wajima a longtemps prospéré en tant que base pour le transport maritime. On dit que des échanges avec la Chine et la péninsule coréenne ont eu lieu même dans les temps anciens. La technique de la laque est née en Chine, et Wajima serait le lieu où elle a été introduite pour la première fois au Japon.
Situé à l’extrémité nord de la péninsule de Noto, Wajima était un port d’escale pour les Kitamaebune et d’autres navires, ce qui lui a permis d’avoir de nouveaux débouchés. Non loin de là, on trouve une riche forêt où poussent des arbres indispensables à la fabrication de laques, comme le sumac, le cyprès et l’asunaro, semblable au thuja. Le climat y est également propice. Cependant, on peut dire que la principale raison tient à l’engagement et la passion des premiers artistes qui se sont efforcés de fabriquer d’excellents produits et qui ont créé un système de production particulier, un réseau de vente et des normes de contrôle de la qualité.
Gianni Simone