Le 29 décembre, Hosoda Mamoru nous invite à découvrir Belle, sa dernière production étincelante.
Les plus fidèles de nos lecteurs savent que nous apprécions beaucoup le travail de Hosoda Mamoru dont les œuvres ont illuminé notre imaginaire depuis une bonne quinzaine d’années. Comme il nous l’avait déclaré dans un entretien publié à l’occasion de la sortie des Enfants loups, Ame et Yuki (Ôkami kodomo no Ame to Yuki) en 2012, il est un homme qui aime prendre des risques pour ses films. Belle (Ryû to sobakasu no hime), sa dernière réalisation, en est une nouvelle illustration même si l’on peut la considérer davantage comme l’aboutissement des expériences accumulées ces dernières années que comme une œuvre renversante à la différence de La Traversée du temps (Toki o kakeru shôjo, 2006) ou même Summer Wars (Samâ wôzu, 2009). Même Mirai, ma petite sœur (Mirai no mirai) sorti en 2018 avait ce petit quelque chose de spécial qui en faisait un film “extraordinaire”.
D’un point de vue technique, ce nouveau long-métrage est irréprochable. Hosoda et son équipe font la démonstration d’une maîtrise parfaite de l’animation à tel point que certaines séquences bluffantes de réalisme donnent l’illusion d’avoir été tournées en prises de vue réelles. La mécanique est formidablement bien huilée, mais elle a un côté étincelant qui finit par faire oublier le fond de l’histoire. Or c’est ce qui nous attire aussi chez cet artiste talentueux, sa capacité à éveiller en nous l’émerveillement à travers les images et la réflexion grâce à des récits qui entrent en résonance avec notre époque. Avec Belle, il a choisi de s’attaquer à un sujet qui “parle” à la jeune génération : Internet. Ce n’est pas la première fois qu’il y fait allusion. Summer Wars avait été un premier coup d’essai. Cette fois, il met le doigt sur l’importance que les réseaux occupent dans leur existence.
Il est vrai qu’il existe désormais une génération qui n’a connu qu’Internet. A la différence des autres qui ont connu d’autres univers, il lui est beaucoup plus facile de l’appréhender et de vivre avec. L’intérêt de Belle est justement d’aborder le sujet du point de vue de cette jeunesse plutôt que de celui des plus âgés qui ont tendance à en montrer les travers, trahissant d’une certaine façon leur crainte face à l’inconnu. En plantant son décor dans la province japonaise comme il l’a déjà fait à plusieurs reprises par le passé,
Hosoda Mamoru montre déjà que la fracture numérique ne se pose pas en termes géographiques comme on a généralement tendance à le penser. On y fait la connaissance de Suzu, une adolescente timide très marquée par la disparition accidentelle de sa mère quand elle était petite. Pour sortir de sa solitude et de son traumatisme, elle s’est inventé une double vie sur Internet où elle a retrouvé le goût de chanter.
Grâce à son avatar Belle qui séduit des millions de jeunes gens, Suzu devient l’une des égéries d’un monde virtuel développé autour d’une application baptisée “U” (prononcé “you”, cela signifie “toi”) qui paradoxalement invite ses membres à ne pas être eux-mêmes.
Mais le succès appelle la jalousie et Suzu-Belle doit faire face à une montée de violence numérique à son encontre. Un phénomène dont les médias se font souvent l’écho. Hosoda
Mamoru aurait pu construire une histoire dont on aurait retenu que cette dérive, mais, comme toujours, il veut offrir une perspective positive grâce à ses personnages qui ne baissent jamais les bras. Grâce au soutien d’une de ses amies férues d’informatique, Suzu va utiliser Belle pour se battre et résister à ce déchaînement de haine au milieu d’un décor flamboyant, de couleurs éclatantes et de chansons envoûtantes. Une nouvelle fois, le réalisateur donne le beau rôle aux personnages féminins.
Comme il l’avait fait dans Les Enfants loups, Ame et Yuki où la jeune mère avait surmonté la défiance locale et les défis pour s’installer à la campagne pour élever ses enfants, le réalisateur donne à son personnage principal une force psychologique qui ne manque pas de séduire le spectateur. Le fait d’avoir lui-même été élevé par une mère seule n’est pas étranger à ce désir de montrer à quel point le sexe dit faible ne manque pas de ressources pour faire avancer les choses et trouver des solutions à des problèmes qui paraissent parfois insurmontables.
Dans son nouveau film inspiré du conte La Belle et la bête dont les studios Disney ont signé une adaptation il y a quelques années, Hosoda Mamoru n’a pas voulu bâtir l’histoire seulement autour de l’aspect physique. Il a préféré, comme il l’a déjà évoqué dans Le Garçon et la Bête (Bakemono no ko, 2015), se concentrer sur la psychologie des personnages en soulignant leur complexité. En ce sens, le cinéaste va à l’encontre des tendances actuelles de notre société en faveur d’une approche binaire des choses. On ne peut qu’adhérer à sa vision du monde, mais celle-ci se dilue dans la dimension spectaculaire qu’il a voulu donner à cette œuvre. La question est de savoir si, devant cette débauche de technique, de couleurs et de musique, le message de première importance qu’il veut transmettre ne risque pas de passer à côté de sa cible. C’est le seul reproche que l’on peut adresser au réalisateur dont on soupçonne le désir d’avoir voulu faire la synthèse de deux décennies de travail en un seul film. Et comme certains plats, par moments, il donne la sensation d’être trop riche.
Gabriel Bernard