Souvent boudée par les touristes, la préfecture d’Ibaraki recèle pourtant de jolis lieux pour les amateurs de nature.
Chaque année, le Brand Research Institute demande à des milliers de Japonais de noter l’attractivité des 47 préfectures du pays. Au terme de l’enquête de 2021, Ibaraki se classait au dernier rang. Je vous l’accorde, Ibaraki n’est peut-être pas aussi clinquant et excitant que d’autres endroits. Cependant, cette préfecture mérite bien une visite, surtout si vous êtes à Tôkyô. L’un de ses sites incontournables est le lac Kasumigaura, le deuxième plus grand du Japon. La zone centrée autour du lac est riche en nature et en histoire et est particulièrement attrayante si vous aimez le vélo, la pêche ou l’observation des oiseaux. Elle possède également une histoire géologique extrêmement fascinante.
La plaine du Kantô, qui comprend la capitale et les préfectures environnantes, était autrefois située au fond d’une mer peu profonde et ce que l’on appelle aujourd’hui la baie de Tôkyô s’étendait jusqu’à Ibaraki. Au cours de la préhistoire, les changements climatiques furent importants en raison de l’alternance de périodes glaciaires et interglaciaires (périodes chaudes entre deux périodes glaciaires). La région était souvent submergée, la boue et le sable s’accumulant au fond. Plus tard, plusieurs volcans actifs situés non loin de cette zone ont contribué à façonner le plateau autour de Kasumigaura. Dans le même temps, la terre et le sable transportés par les nombreuses rivières de la région ont endigué l’espace entre Kasumigaura et la mer, créant ainsi les lacs actuels. Cependant, les lacs d’origine ressemblaient davantage à une mer intérieure abritant de nombreux poissons d’eau salée.
Au sens large, Kasumigaura désigne les trois lacs (Nishiura, Kitaura et Sotonasakaura) qui sont nés de ces transformations géologiques. Ils sont reliés par plusieurs rivières et canaux et ont une superficie combinée de 220 km2. Toutefois, au sens strict, Kasumigaura fait référence au plus grand des trois lacs, Nishiura (172 km2).
Les meilleurs points d’accès au lac sont Tsuchiura
sur la ligne JR Jôban et Itako sur la ligne JR Kashima. Cette dernière gare est le point de départ de notre exploration. Itako est appelée suigô (ville d’eau) en raison de ses canaux et des rivières et lacs qui l’entourent. Elle est également très connue des fans d’enka (chansons aux mélodies langoureuses) car elle a fait l’objet de plusieurs chansons. Aujourd’hui, notre objectif est le lac. Nous enfourchons donc un vélo de location et nous nous dirigeons vers l’ouest en suivant la large et paisible rivière Hitachitone-gawa. Tous les week-ends, on peut y voir des gens pêcher, ramer et même s’exercer au ski nautique.
En cours de route, nous traversons l’une des nombreuses écluses de la région. Les rivières japonaises sont connues pour déborder et provoquer des inondations désastreuses pendant la saison des pluies et des typhons, et Kasumigaura ne fait pas exception. En juin 1938, par exemple, la plus grande inondation de l’histoire moderne de la région a submergé de vastes zones pendant plus d’un mois. Elle a été suivie d’une autre grande inondation en 1941. Cette fois, il a fallu deux mois pour que l’eau s’écoule complètement. Les inondations ont été causées par de fortes pluies dans le cours supérieur de la Tone-gawa, principale voie d’eau de la région et deuxième plus long fleuve du Japon. En conséquence, un système complexe d’écluses a été conçu pour gérer le contrôle hydraulique.
Ces écluses ont été une bénédiction mitigée et ont suscité l’opposition des agriculteurs et des pêcheurs. D’un côté, elles ont contribué à la dessalinisation des lacs. D’un autre côté, elles ont facilité l’écoulement de l’eau de mer dans les rivières, endommageant les cultures et détruisant l’habitat où vivaient les palourdes d’eau saumâtre (asari et shijimi).
Sur le côté intérieur de la piste cyclable, nous voyons une longue bande de rizières. L’agriculture est l’une des principales activités économiques d’Ibaraki, et les rizières sont omniprésentes. Pendant
la période Edo (1603-1868), le shogunat Tokugawa a lancé un projet massif visant à récupérer et à développer les terres inondées tout en détournant la rivière Tone-gawa – qui se déversait à l’origine dans la baie de Tôkyô – pour qu’elle s’écoule vers l’est, dans l’océan Pacifique. Le projet comprenait également la construction d’un système d’irrigation qui a permis le développement de la riziculture. Si vous voulez savoir à quoi ressemblait cette région à la fin des années 1950, vous devriez regarder Kome (Gens de rizière), un film de 1957 d’Imai Tadashi qui raconte la vie des pauvres agriculteurs (voir Zoom Japon n°114, octobre 2021) qui luttent pour garder la tête hors de l’eau et s’accrocher au peu qu’ils ont tout en essayant de rembourser leurs dettes.
En nous rapprochant du lac, nous traversons Ushibori. Ce quartier est également représenté dans la célèbre série d’estampes de Katsushika
Hokusai intitulée Trente-six vues du mont Fuji. Dans la brume du matin, un grand bateau de pêche flotte au-dessus de l’eau remplie de roseaux. Les marins, qui ont dormi à bord, viennent de se réveiller et l’un d’eux s’apprête à faire cuire du riz. Il se penche par-dessus bord et jette l’eau de polissage, effrayant au passage deux aigrettes qui s’envolent vers un endroit plus tranquille.
Cette image met en valeur deux des principales attractions de la région : les poissons et les oiseaux. Comme nous l’avons vu, le processus de sédimentation par les nombreuses rivières de la région a transformé Kasumigaura en un lac d’eau douce, introduisant de toutes nouvelles espèces de poissons comme le wakasagi (éperlan japonais), le shirauo (salangidae), la carpe, l’anguille et la crevette. Le bateau de pêche emblématique du lac est un chalutier à voile appelé hobikibune. Inventés en 1880 par un habitant de la région nommé Orimoto Ryôhei, ces bateaux étaient particulièrement adaptés aux eaux calmes mais étendues de Kasumigaura. Ils ont révolutionné la pêche locale car ils pouvaient être manœuvrés par seulement deux ou trois personnes alors que l’ancienne méthode de pêche nécessitait le travail concerté de 20 personnes travaillant en équipe. Les hobikibune étaient si efficaces qu’il était possible de remonter environ 200 kg de poisson en une seule fois avec un seul bateau. Ils ont été utilisés pour la pêche commerciale jusqu’à la fin des années 1960, lorsqu’ils ont été remplacés par des bateaux à moteur traînant des filets dans l’eau. Aujourd’hui, ces magnifiques voiliers ne sont plus utilisés que sporadiquement pour des visites touristiques.
L’introduction des bateaux à moteur a également contribué à la disparition de la pêche commerciale à Kasumigaura. Bien que ce système plus efficace ait temporairement augmenté les prises d’éperlans et d’autres poissons, il a finalement conduit à l’épuisement des ressources. En particulier depuis les années 1980, les captures ont rapidement diminué. Dans la seconde moitié de la décennie suivante, par exemple, les prises totales n’étaient plus que d’un cinquième de celles des années 1970. Les autres raisons de cet appauvrissement radical sont la réduction de la quantité de plancton (causée par les changements de la qualité de l’eau) et la perte progressive de la végétation naturelle des bords du lac en raison du développement des digues. Cependant, bien que la pêche industrielle soit en déclin, les pêcheurs amateurs peuvent toujours profiter d’une bonne sortie en bateau ou sur les rives du lac.
Après avoir traversé le pont Kita-Tone, nous atteignons enfin le lac et continuons à pédaler vers l’ouest en suivant sa rive sud. Cette partie de Kasumigaura est plutôt étroite et nous pouvons voir la rive nord à travers les eaux scintillantes. Le puissant mont Tsukuba s’élève plus loin, son imposante forme bleutée se détachant à l’horizon.
Les zones humides de faible altitude proches du lac ont été aménagées à partir de la fin du XVIe siècle, lorsque le futur shogun Tokugawa Ieyasu s’est installé dans la région du Kantô. La récupération des terres s’est poursuivie à un rythme plus rapide à partir des années 1920, en réponse à la pénurie alimentaire et aux émeutes du riz provoquées par la Première Guerre mondiale.
En poussant notre lourde bicyclette de location à trois vitesses sur la piste, nous sommes dépassés par une vingtaine de vélos de route. Pour ceux qui ont assez d’endurance et un vélo adéquat, le parcours du circuit est d’environ 130 km.
Nous atteignons enfin le marais d’Ukishima et son site le plus populaire, Myôgi-no-Hana, une zone humide de faible altitude, célèbre localement pour l’observation des oiseaux. Sa superficie est estimée à environ 52 ha. Elle était autrefois plus grande, mais a progressivement diminué en raison de l’assèchement et de la construction de digues à partir du milieu du XXe siècle. Myôgi-
no-Hana est un kayaba (zone humide envahie de roseaux) typique et serait l’une des plus grandes roselières de la région du Kantô. Près de la rive sud de ce marais en forme de nez se trouve une cabane d’où l’on peut observer des espèces d’oiseaux toute l’année. Ce marais est notamment connu pour être un lieu de reproduction du bruant des roseaux du Japon, de la sauterelle des marais, de la fauvette orientale des roseaux et de la fauvette des roseaux à sourcils noirs.
De retour à Itako, s’il vous reste un peu d’énergie, vous pourrez visiter la zone du canal à l’ouest de la gare (célèbre pour son festival des iris au début de l’été) et le Chôshô-ji, un temple bouddhiste fondé en 1185 par Minamoto no Yoritomo (voir Zoom Japon n°13, septembre 2011) pour prier pour sa prospérité en tant que chef de guerre. Il abrite également de nombreux biens culturels désignés au niveau national, préfectoral et municipal, dont une cloche en bronze de la période Kamakura (1185-1333).
Jean Derome
Pour s’y rendre
Depuis Tôkyô, Itako est accessible en 70 minutes par autocar. A la gare de Tôkyô, sortie Yaesu, prendre l’autocar à destination de Kashima Jingû ou Kashima Central Hotel, et descendre à Suigô-Itako
Bus Terminal. De là, il y a des navettes gratuites jusqu’au centre de la ville (10 min).
Sinon, par le train, la ligne JR Jôban relie la gare d’Ueno à Tsuchiura en 1 heure environ.
A Itako, des bicyclettes peuvent être louées à l’Office du tourisme situé à côté de la gare. Il est ouvert de 9h30 à 17h (fermé le mardi). 1 000 yens pour la journée.
https://itako-cycling.com/rental/
A Tsuchiura, les lieux proposant des locations de bicyclettes ne manquent pas :
www.city.tsuchiura.lg.jp/page/page014976.html