Les catastrophes naturelles ont inspiré de nombreux auteurs au premier rang desquels Komatsu Sakyô.
Les catastrophes qu’elles soient naturelles ou provoquées par l’activité humaine ont toujours été des sujets d’intérêt pour la littérature ou le cinéma. Peu de pays ont manifesté autant d’enthousiasme à l’égard de ce genre de production que le Japon.
Alors que les films américains d’antan se contentaient d’amener quelques créatures extraterrestres dans une petite ville au milieu de nulle part, les Japonais imaginaient Godzilla, un monstre gigantesque au “souffle atomique” qui apparaissait pour réduire Tôkyô en cendres. Quand l’auteur de science-fiction Komatsu Sakyô a écrit son roman consacré à une catastrophe frappant le Japon, il ne s’est pas contenté de décrire un séisme de grande ampleur, il a simplement rayé l’archipel de la carte. Ancien artiste comique, Komatsu s’est lancé dans l’écriture de son roman en 1964 et il lui a fallu neuf années pour le terminer. A la fin, l’histoire était tellement longue que l’éditeur a décidé de la publier en deux volumes. La Submersion du Japon (Nihon Chinbotsu) commence par une série de séismes et d’éruptions volcaniques. La communauté scientifique finit par penser que l’ensemble du pays va être submergé, encourageant le gouvernement japonais à entamer des négociations secrètes avec d’autres pays pour qu’ils acceptent des réfugiés japonais. Tandis que les opérations d’évacuation se déroulent, le mont Fuji entre en éruption, dévastant la capitale avant que l’ensemble de l’archipel disparaisse dans l’océan Pacifique.
A sa sortie, en 1973, le roman s’est vendu à 30 000 exemplaires, un chiffre plutôt faible dans un pays où la lecture est un passe-temps national et où les livres de ce genre peuvent s’écouler à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires. L’année suivante, il remporta néanmoins deux prix littéraires prestigieux. A la même période, une série de tremblements de terre et d’éruptions volcaniques se produisirent incitant les Japonais à s’y intéresser. Bientôt, les ventes des deux volumes atteignirent les 4 millions d’exemplaires tandis qu’une version abrégée était publiée en anglais avant d’être suivie l’année suivante par une traduction française abrégée également. Au-delà de son intrigue spectaculaire et désastreuse, La Submersion du Japon est devenue un best-seller dans l’archipel en raison du message que le roman adressait à ses lecteurs. En effet, il apparaît comme une antithèse de l’optimisme né des années 1960 et de l’avenir en rose que l’exposition universelle d’Ôsaka en 1970 proposait aux Japonais. Originaire la capitale du Kansai, Komatsu avait été impliqué dans la conception de l’événement de 1970. Il était célèbre pour ses histoires apocalyptiques qui critiquaient souvent le monde scientifique compromis par le pouvoir politique et indifférent aux équilibres de la nature.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Japon a été obsédé par la croissance économique et la technologie. Au moment de la sortie du livre, les questions environnementales avaient pris beaucoup d’importance. Le pays était également secoué par une vague de terrorisme. En 1970, l’Armée rouge japonaise avait notamment détourné un appareil de la Japan Airlines avec 129 passagers à son bord. L’économie subissait une forte inflation. Et quand le choc pétrolier a eu lieu la même année, cela a contribué à approfondir un sentiment de crise parmi la population. Enfin, 1973 marquait le 50e anniversaire du grand tremblement de terre qui avait dévasté Tôkyô et sa région le 1er septembre 1923, tuant plus de 140 000 personnes. Comme l’a souligné le critique Sawaragi Noi dans son livre Sensô to banpaku [Guerre et Expositions universelles, 2005, inédit en français], le roman de Komatsu exprimait très bien le sentiment dominant de désillusion et d’insécurité concernant cette nouvelle décennie, ce qui a contribué à la propagation de l’intérêt pour les contenus annonçant la fin du monde. Puisqu’il s’agissait d’une histoire fondée sur des recherches, La Submersion du Japon a eu, au moins, le mérite de faire connaître au grand public la théorie de la tectonique des plaques qui était alors encore une idée nouvelle peu connue du grand public.
Le plus intéressant reste cependant l’idée que les Japonais pourraient un jour devenir un peuple de réfugiés réparti un peu partout dans le monde. Comme Komatsu l’a affirmé, le sujet qu’il voulait traiter dans son roman était justement de savoir ce qui adviendrait si le peuple japonais perdait son pays et devenait une nation nomade. Cette idée a sans doute rappelé à beaucoup de gens un autre best-seller Nihonjin to Yudayajin [Les Japonais et les Juifs, inédit en français] publié en 1970 par Yamamoto Shichihei sous le pseudonyme d’Isaiah Ben-Dasan. Dans ce livre, Yamamoto expliquait que les deux peuples partageaient le même sentiment de vulnérabilité et étaient relégués dans une position périphérique au niveau des relations internationales. Il est vrai que le Japon était souvent considéré comme un pays à l’écart dont la fierté nationale est nourrie par la croyance d’être une nation à part sinon unique du fait de son homogénéité raciale et culturelle. Si d’un côté l’archipel a exprimé son désir de recevoir et d’adapter des idées ou des techniques venues de l’étranger, d’un autre côté, les Japonais n’ont jamais cessé d’avoir peur d’entretenir des relations étroites avec d’autres pays, coincés qu’ils étaient entre l’isolationnisme et l’internationalisme.
En ce sens, La Submersion du Japon est souvent considérée comme une métaphore des relations difficiles que le Japon a entretenues avec le reste du monde. Si le gouvernement japonais est souvent loué pour ses aides financières aux pays en voie de développement, il se montre beaucoup moins enclin à accueillir des réfugiés, suscitant bien des déceptions et se retrouvant dépassé par des pays bien plus petits que lui. Vu sous cet angle, le roman de Komatsu est plutôt prophétique puisque le Japon se retrouve seul à gérer la situation d’urgence, en raison de l’attitude de son gouvernement et de la mauvaise volonté des autres pays à recevoir des millions de réfugiés japonais. En définitive, la fin apocalyptique de son histoire est la conséquence directe de plusieurs siècles d’isolement politique et culturel. Komatsu s’attaque aussi à un autre sujet important selon lequel les Japonais sont moins adaptés pour vivre en dehors de leur pays que les autres peuples. La commission qui, dans le roman, est en charge de planifier l’avenir des Japonais finit par dire que ces derniers devraient disparaître avec leurs îles puisqu’ils sont incapables de vivre loin d’elles.
Le romancier a repris cet aspect de l’histoire, en 2006, lorsqu’il a collaboré avec le jeune auteur Tani Kôshû dans Nihon Chinbostu, Dainibu [La Submersion du Japon 2, inédit en français]. Agé alors de 75 ans, Komatsu expliquait dans la postface de ce roman que dans son histoire originale, il avait envisagé de décrire le destin des survivants japonais après la disparition de leur pays, mais les délais imposés par l’éditeur l’avaient obligé à réduire la longueur du roman. Dans la suite sortie en 2006, la population japonaise est passée de 120 millions à 80 millions d’habitants. Les ministères japonais installés dans différentes cités aux quatre coins de la planète tentent de soutenir leurs compatriotes installés un peu partout dans le monde. Dans certains endroits, les Japonais ont réussi à s’adapter à leur nouvel environnement tandis que dans d’autres parties de la planète, ils sont critiqués pour leur rôle néfaste sur l’environnement. Il arrive même que leur intégration échoue et que des conflits surgissent avec les populations locales. Une fois encore, le gouvernement est divisé entre ceux qui encouragent le nationalisme dans le but de protéger la nation japonaise et ceux qui, au contraire, estiment que le mélange est la seule voie pour survivre. Tous ces sujets trouvent un écho concret dans la situation politique actuelle dans le pays. En ce sens, il sera intéressant de voir quel chemin ce pays empruntera à l’avenir.
Jean Derome
Une thématique reprise dans les manga :
Komatsu Sakyô a influencé de nombreux auteurs parmi lesquels Kawaguchi Kaiji. Le mangaka s’est lancé dans une longue série qui a connu un très grand succès dans l’archipel. Avec Spirit of the sun (Taiyô no mokushiroku), il explore à sa façon les conséquences d’un cataclysme naturel qui commence bien évidemment par une méga éruption du mont Fuji, symbole du pays. A l’instar de son illustre prédécesseur, Kawaguchi s’attarde sur les conséquences que cette catastrophe entraîne pour la population japonaise obligée de quitter l’archipel. Il le fait de façon tout à fait passionnante avec cette pointe de nationalisme qui le caractérise. La série publiée en France par Tonkam n’a malheureusement pas connu le même engouement qu’au Japon faute de repères. Vous les avez désormais, n’hésitez plus.
Odaira Namihei