Cinq ans après le 11 mars 2011, les éditions Erès publient son magnifique recueil écrit dans les heures qui ont suivi la tragédie.
Avant le séisme du 11 mars, je m’intéressais principalementà l’histoire, à la technique et à la conception de la poésie. Mais après tous ces événements tragiques, mon intérêt s’est naturellement tourné vers la société. Ne devais-je pas écrire sur le quotidien du Japon et de Fukushima qui constituent des sujets sans fin ? me suisje demandé. Il était aussi très important pour moi de donner un caractère documentaire à mon œuvre”. C’est en ces termes que Wagô Ryôichi s’était confié à Zoom Japon (voir Zoom Japon, n°14, octobre 2011) quelques semaines après les tragiques événements du 11 mars 2011. Originaire de Fukushima, le poète s’est rendu célèbre dans les jours qui ont suivi la catastrophe par la publication via Twitter de ses textes. Ceux-ci rendaient compte à la fois de la crise nucléaire à laquelle le Japon était confronté, mais aussi et surtout de son état d’esprit face à cette situation sans précédent. Une façon d’informer et d’alerter le reste de la population pour qu’elle n’oublie pas et qu’elle continue à manisfester son intérêt pour la région frappée par un séisme, un tsunami et un accident nucléaire. En l’espace de quelques semaines, Wagô Ryôichi a publié des centaines de poèmes sur Twitter, suscitant une grande émotion. Repris sous forme d’ouvrages, ils ont connu un retentissement important dans l’archipel, car l’homme évoquait avec simplicité et justesse une réalité que les médias rapportaient avec la froideur qui les caractérise souvent. Il voulait également réagir face à l’attitude du gouvernement. “L’accident à la centrale de Fukushima Dai-ichi a clairement montré que la pratique du mensonge d’Etat qui était la caractéristique du Japon pendant la guerre n’a absolument pas changé. J’ai donc bien l’intention, en tant que poète, de combattre ce mal qui semble si profondément enraciné dans notre société”, nous expliquait-il tandis qu’il composait jour et nuit des poèmes qu’il balançait ensuite sur les réseaux sociaux.
Pas étonnant qu’il ait intitulé son premier recueil Jets de poèmes (Shi no tsubute). “Dans ma cellule solitaire, ma seule pensée était que ma propre vérité se trouvait dans les mots, et uniquement dans les mots”, écrit-il dans la préface de cet ouvrage enfin traduit en français et avec le brio qu’on lui connaît par Corinne Atlan aux éditions Erès. Wagô Ryôichi a en effet réussi à ramener ses contemporains à prendre davantage en considération l’écrit au moment où les images prennent de plus en plus de place dans notre façon de nous informer. “Mon travail publié juste après le séisme a contribué à relancer le débat sur le poids des mots dans notre société alors que celui-ci avait pratiquement disparu ces dernières années”, confirme-t-il. Car après tout, le poison qui s’est échappé de la centrale de Fukushima est invisible. La radioactivité ne se voit pas, mais elle est omniprésente. “Les radiations tombent toujours, alors je suis resté confiné chez moi aujour’hui. Sans parler à personne, sans penser à rien”, écrit-il le 17 mars 2011. Grâce à ses textes courts, on partage le quotidien que des centaines de milliers d’autres indivdus ont également vécu. Il y a des hauts et des bas. Mais l’homme parvient toujours à reprendre le dessus. “Fukushima en proie au désastre, je t’ensevelirai sous les mots. Je ne me laisserai pas abattre”, lance-t-il le lendemain alors qu’il sent prisonnier de cette ville d’où il est impossible de sortir. “Plus d’endroit d’où partir en voyage, plus d’endroit pour aller et venir de l’extérieur, plus d’endroit pour revenir. L’horloge reste arrêtée sur 2h46”, constate-t-il. La vie semble s’être figée tandis qu’“il pleut des radiations. La nuit est silencieuse, silencieuse”, ajoute Wagô Ryôichi près d’un mois après le séisme. On perçoit à travers ces phrases que la rupture n’est pas loin, mais le poète parvient à résister. “Il n’est pas de nuit sans aube”, écrit-il le 26 mai pour achever ce Jets de poèmes qui ne constitue qu’une première étape dans le travail de reconquête qu’il entend accomplir. Dans Shi no kaikô [Rencontres poétiques, éd. Asahi Shimbun, 2011, inédit en français], autre recueil qu’il publie juste après celui-ci, Wagô Ryôichi a poursuivi son œuvre en collectant des témoignages et en exprimant sa résolution (ketsui) de reprendre possession de Fukushima. En dépit de la situation et de moments à la limite de la rupture, il ne baisse jamais les bras. “Non, jamais je ne vendrai mon âme de poète”, exulte-t-il avant d’écrire plusieurs fois en gros caractères “Ecrire des poèmes”. Voilà pourquoi il faut lire Jets de poèmes, car il s’agit en définitive d’une magnifique leçon de courage et de résistance face à l’adversité. Merci à l’éditeur toulousain de nous la proposer en français.
Odaira Namihei
Jets de poèmes : dans le vif de Fukushima, de Wagô Ryôichi,
trad. par Corinne Atlan, Editions Erès, 2016, 25 €.