Furukawa Hideo parle de ses racines, du nucléaire et de l’étrange rapport entre les hommes et les animaux.
Dans Ô chevaux, la lumière est pourtant innocente, son roman paru en 2013 chez Philippe Picquier, Furukawa Hideo a abordé de front l’événement le plus dramatique qu’a connu le Japon depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : le tremblement de terre et le tsunami du 11 mars 2011 qui ont donné lieu ensuite à l’accident de la centrale de Fukushima. A sa manière et dans un style toujours fougueux, il porte un regard cru sur cette tragédie dont il ne veut pas effacer le souvenir. Originaire de la région sinistrée, il continue de s’investir pour que la mémoire reste vive.
Quand l’idée de ce livre a-t-elle vu le jour ?
Furukawa Hideo : le 11 mars 2011, j’étais à Kyôto. J’étais en train de faire des recherches pour mon nouveau livre, lorsque j’ai appris la nouvelle du désastre. Je ne sais plus combien de temps j’ai passé devant mon écran de télévision, à regarder toutes ces images tragiques qui défilaient en boucle. Ma famille, qui vit encore dans la préfecture de Fukushima, heureusement s’en est sortie, mais j’ai immédiatement ressenti le besoin, presque physique, de rentrer dans ma région. C’était comme si une voix intérieure continuait de me répéter que je devais regarder ce qui venait de se passer avec mes propres yeux. Je suis donc rentré tout de suite chez moi, à Tôkyô, et de là, en voiture, je suis parti pour Fukushima. Cette envie de rentrer s’est transformée ensuite en un élan qui me poussait à écrire tout ce que je voyais et tout ce que je ressentais. Ce matériel constitue la partie documentée de mon livre.
Ô chevaux, la lumière est pourtant innocente est sorti en un temps record : en juin, c’est-à-dire seulement trois mois après la catastrophe, il a été publié intégralement dans la revue littéraire Shinchô. Le mois suivant il était disponible dans les librairies. Je pense que, même au Japon, c’est un cas très rare.
F. H. : Sûrement s’agit-il d’un cas exceptionnel compte tenu des circonstances qui ont inspiré le roman. Le livre a été écrit en bonne partie de façon spontanée, impulsive, en privilégiant les émotions ressenties sur le moment plutôt qu’une approche plus filtrée et raisonnée. Ma maison d’édition a très bien compris cette urgence et elle a tout mis en œuvre pour rendre le roman disponible au plus tôt.
Ce roman a une structure très particulière qui mélange reportage, narration et histoire militaire…
F. H. : Il ne s’agit pas de quelque chose de prémédité. Surtout au début, lorsque je suis rentré à Fukushima, ma seule préoccupation était celle d’enregistrer, à chaud, tout ce qui s’y passait. Je me promenais avec un stylo et un carnet en notant tout ce que je voyais autour de moi – la destruction, l’espoir et le désespoir des gens – sans savoir si et comment j’allais utiliser ces notes. C’était une action compulsive, je devais écrire. Le fait est que je suis écrivain et non pas journaliste. Ma passion est celle de raconter des histoires. C’est pour cela que dans un deuxième temps, j’ai décidé de rajouter des éléments de fiction narrative.
Même si la définition “écrivain de Fukushima” est à vos yeux trop réductrice, il est vrai que depuis six ans vous vous battez pour que cette tragédie ne soit pas oubliée…
F. H. : J’y tiens beaucoup, car la mémoire historique est importante. Je crois que dans mon cas spécifique, le fait de me trouver à Kyôto lors de la tragédie, à des centaines de kilomètres du désastre, a influencé ma réaction. Ceux qui se trouvaient dans le Tôhoku (ou même à Tôkyô, où les secousses ont été très violentes) veulent tout simplement oublier la catastrophe. C’est très humain de vouloir oublier des souvenirs si traumatisants. Alors que pour moi, et pour bien d’autres, c’est important de conserver le souvenir de ces jours et l’écriture est un moyen parmi d’autres pour que la mémoire de Fukushima ne s’efface pas au fil du temps.