Beaucoup de Japonais se souviennent de ces vins de qualité médiocre produits dans l’Archipel et peuvent témoigner de leurs mauvaises expériences. Bien que le jus fût importé, on pouvait le qualifier de kokusan wain, “vin de production nationale”, dès qu’une partie de la production était réalisée à l’intérieur du pays. Raison pour laquelle les vrais vignerons japonais se sont longtemps battus pour que l’appellation de nihon wain soit uniquement appliquée aux vins entièrement produits dans le pays, avec des raisins récoltés localement (appellation en vigueur depuis 2015), afin de faire la différence avec les kokusan wain, qui existent encore aujourd’hui.
Tamamura Toyoo, l’un des précurseurs dans le milieu, patron du vignoble Villa d’Est, mais aussi célèbre auteur de nombreux ouvrages tant sur la gastronomie que sur la vie françaises, connaît l’histoire de la réception du vin au Japon sur le bout des doigts. Il se souvient d’ailleurs très bien des années 1970, quand les Japonais n’étaient pas encore familiers avec les vins : il venait de rentrer d’un séjour d’études en France. À cette époque, au Japon, les vins commercialisés étaient soit hors de prix soit des vins californiens populaires, et même lorsque la bouteille était clairement bouchée, les vendeurs ne voulaient pas l’admettre et argumentaient : “c’est cette acidité qui forme le caractère de ce vin…”
Le préjugé selon lequel le climat au Japon n’était pas propice à la culture des vignes a longtemps persisté chez les Japonais eux-mêmes. Il est vrai que la pluviométrie est relativement abondante et que l’humidité provoque des maladies et la prolifération des insectes. La préfecture de Nagano, considéré aujourd’hui comme l’une des régions les plus représentatives du vin japonais, avait été déconseillé à Tamamura lorsqu’il s’y est installé dans les années 1990. On lui disait alors qu’il faisait trop froid, trop humide pour y planter des vignes… “Si j’ai pu me lancer dans la production de vin malgré les avis défavorables, c’est sans doute parce que je l’ai commencée comme un ‘hobby’ et non pour en faire mon métier principal. J’ai planté cinq cents pieds il y a de cela trente ans, et j’ai peu à peu agrandi les terrains. Aujourd’hui, nous possédons huit hectares de vignes”, raconte-t-il en souriant.
Le Japon, grâce à ses conditions géographiques spécifiques, possède une grande diversité climatique et plusieurs solutions sont possibles pour les vignerons. Aujourd’hui, les vins sont produits dans des régions très différentes. Certes, plus de la moitié de la production se concentre toujours dans les préfectures de Yamanashi et de Nagano, régions qui cultivaient traditionnellement du raisin. Mais selon Kakimoto Reiko, journaliste et spécialiste en vins japonais, la préfecture de Yamagata, avec le réchauffement climatique se révélerait être une région prometteuse, et la région du nord comme le Hokkaidô, où le nombre de producteurs augmente, a pour atout de vastes terrains. Les producteurs s’installent même dans l’ouest de l’Archipel comme à Okayama (voir pp. 16-18) et jusque sur l’île de Kyûshû, au sud.
“Regardez les États-Unis. Ce n’est plus seulement en Californie que l’on produit des vins. Les vins sont réalisés dans des conditions climatiques très variées, du nord au sud, en Oregon, au Texas ou en Arizona, Partout dans le monde, on peut produire du vin. Simplement, on doit s’occuper davantage du raisin dans certaines régions, comme c’est le cas pour le Japon. Mais bien connaître les caractères climatiques locaux nous permet de choisir les cépages appropriés. Notre travail consiste à faire des choix qui conviennent le mieux à notre terroir, à chaque stade de la production”, note Tamamura Toyoo.
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