Après des mois de privation, les salles obscures retrouvent droit de cité.
Et il y en aura pour tous les goûts.
Savourons notre plaisir au moment où nous pouvons enfin reprendre le chemin des salles de cinéma qui nous ont bien manqué au cours des derniers mois. Un bonheur n’arrivant jamais seul, le distributeur Art House nous annonce, avec un mois d’avance, le retour de l’été. En effet, depuis le 26 mai, nous sommes entrés officiellement dans “l’été Fukada” avec une formidable programmation consacrée à ce cinéaste, étoile montante du 7e Art nippon. Pour bien débuter cette saison prometteuse, le distributeur français nous propose de découvrir Hospitalité (Kantai), une œuvre de 2010 dans laquelle Fukada Kôji montre déjà sa capacité à créer des atmosphères de tension à partir de situations banales.
Ce film est un avant-goût de ce qu’il réussira parfaitement dans Harmonium (Fuchi ni tatsu), six ans plus tard. On retrouve notamment l’acteur Furutachi Kanji, membre de la troupe Seinendan du dramaturge Hirata Oriza (qui assure la direction artistique dans ce film), dans le rôle de Kagawa. Ce personnage trouble va trouver le moyen de s’immiscer dans la vie d’une famille recomposée dont il va exploiter toutes les faiblesses pour imposer ses règles et ses envies. Le cinéaste a choisi de planter son décor dans un quartier en apparence tranquille. A l’aune de ce que les médias français rapportent de la situation dans certaines villes françaises, le quartier où est implantée la petite imprimerie Kobayashi dirigée par Mikio (Yamauchi Kenji), est des plus calmes. Pourtant, une partie des habitants se mobilise contre la montée de la criminalité, laquelle serait le fruit de la présence d’étrangers. Fukada Kôji s’interroge ainsi sur le rôle des comités de quartier (tonarigumi) qui exercent une forte influence sur les habitants, au point que ceux-ci se sentent obligés de participer aux diverses activités, notamment celles visant à organiser sa surveillance.
Parallèlement à cette obsession de sécurité que l’omniprésence des voisines ne cesse de rappeler tout au long du récit, le cinéaste dévoile progressivement la stratégie de Kagawa. Après avoir réussi à se faire embaucher par Mikio, il obtient le droit de s’installer dans une pièce libre au-dessus de l’imprimerie avant d’y faire venir sa “femme” Annabelle (Bryerly Long), une Bosniaque, dont il avait caché l’existence et qu’il va aussi utiliser pour faire pression sur Mikio, une fois que ce dernier aura couché avec elle. Le plan de Kagawa est de s’assurer un total contrôle de la famille Kobayashi afin de pouvoir faire venir d’autres étrangers. Ceux-ci finiront par occuper l’ensemble de la maison.
Evidemment, Fukada Kôji exagère la situation pour mieux dénoncer la tendance au repli sur soi dont le comité de quartier est l’expression la plus criante. Tout finit par dérailler lorsque Kagawa organise la fête d’anniversaire de Natsuki (Sugino Kiki), la nouvelle et jeune femme de Mikio. L’espèce de carnaval qui en découle provoque un véritable séisme dans le quartier et se termine sur une intervention de la police, laquelle laisse supposer un retour à la normale. En 90 minutes, le cinéaste tente avec un certain brio d’interpeller ses contemporains sur la notion d’étranger. Pas sûr néanmoins qu’il soit parvenu à les ranger derrière son désir d’ouverture. En tout cas, il parvient très bien à ébranler les spectateurs.
Puisqu’on parle de secousses, il convient de s’intéresser au film de Nicolas Peyon, Tokyo Shaking. Comme son titre le laisse entendre, il évoque le tremblement de terre qui a secoué le Nord-Est du Japon, en mars 2011 (voir Zoom Japon n°9, avril 2011) et ses conséquences sur la centrale de Fukushima Daiichi. Il ne s’agit pas d’un film catastrophe, mais d’une évocation de la manière dont les étrangers vivant dans l’Archipel et les Japonais ont réagi une fois que les réacteurs ont explosé. Karin Viard, en expatriée qui vient d’arriver dans le pays, va se retrouver en première ligne pour gérer une situation sur laquelle personne n’a aucune prise. Dans ce long métrage qui rappelle, à certains égards, Lost in Translation (2003) de Sofia Coppola avec des étrangers qui ne comprennent pas le comportement des Japonais, Nicolas Peyon explore aussi, de manière intelligente, notre façon de réagir face à l’émotion. Après avoir vu ce film, on se rend compte que la crise sanitaire, dans laquelle nous vivons depuis près de 18 mois, suscite les mêmes types de réaction dans la mesure où nous sommes confrontés, comme pour Fukushima, à un manque cruel d’informations. Dès lors, faute de pouvoir se comporter avec discernement, nous sommes portés par nos émotions comme plusieurs séquences le mettent en évidence dans cette production plutôt bien ficelée qui nous invite à réfléchir à nos propres comportements face à un événement de cette ampleur.
Pour les plus jeunes (mais pas que), il faut aussi signaler la sortie de Detective Conan – The Scarlet Bullet (Meitantei Conan: Hiiro no Dangan), un film d’animation réalisé par Nagaoka Chika. A sa manière, celui-ci fait écho à l’actualité, en nous entraînant à Tôkyô, à la veille de l’ouverture des Jeux Sportifs Mondiaux. A cette occasion, un nouveau train roulant à 1 000 km/h doit être inauguré, mais des incidents puis des kidnappings sèment le trouble. De quoi mobiliser le célèbre détective qui va déployer tout son talent pour tenter de mettre un terme à la situation. Ce film, comme les deux autres susmentionnés, ne manque pas d’intérêt dans la mesure où, en dépit de son caractère d’anticipation, reflète bien notre monde actuel avec cette ambiance paranoïaque dans laquelle nous évoluons depuis plusieurs mois. Les amateurs de cette série retrouveront la plupart des personnages qu’ils connaissent et s’en délecteront, les autres découvriront un long métrage plutôt bien construit qui nous tient en haleine du début à la fin.
Il était donc temps que les cinémas rouvrent leurs portes pour nous permettre de profiter d’une première vague de films sur le Japon qui est d’un excellent niveau. La seconde devrait l’être tout autant.
Odaira Namihei
Références
HOSPITALITÉ (KANTAI), de Fukada Kôji, avec Yamauchi Kenji, Furutachi Kanji, Sugino Kiki.
1 h 36. 2010.
TOKYO SHAKING, de Nicolas Peyon, avec Karine Viard, Narita Yumi, Stéphane Bak. 1 h 41. 2021.
Detective Conan: The Scarlet Bullet (Meitantei Konan Hiiro no Dangan), de Nagaoka Chika. 1 h 50. 2020.